Après le virus et ce qui nous attend …

La tribune : Question – Quelle est l’ampleur du choc économique dans l’Union européenne ?

ERIC DOR – L’ampleur va dépendre de la durée du confinement et de l’intensité de la reprise. On est obligé de raisonner en termes de scénarios. La chute de la production est extrêmement forte. La fermeture d’usines, l’absentéisme des salariés vont provoquer des dégâts considérables. Hors agroalimentaire, c’est environ la moitié de la production qui est paralysée.

Le PIB pourrait facilement chuter de 10% pour 2020 sachant que le confinement pourrait aller jusqu’au mois de mai.

Beaucoup de Français seront fragilisés dans leurs revenus comme les indépendants, les personnes au chômage partiel. Les aides ne vont pas suffire à compenser. La disponibilité des produits devrait être plus limitée. Les chaînes de production sont perturbées. Il faut s’attendre à une baisse entre -5% et -15% du PIB selon les scénarios.

  • Quels sont les secteurs les plus touchés et ceux qui s’en sortent ?

Certains secteurs stabilisent l’économie comme une partie de l’administration publique, l’enseignement, la santé. En revanche, une autre partie de l’économie souffre énormément comme l’industrie, les services marchands, le secteur de la publicité, les prestations informatiques. La reprise devrait être lente. Pour l’industrie, les imbrications sont très importantes. Il est difficile d’avoir de la visibilité pour les exportations, même pour la période qui va suivre le confinement. Dans les exportations, il y a énormément de commerce BtoB. A l’étranger, beaucoup d’usines sont à l’arrêt et la demande mondiale a bien ralenti.

  • Les premières réponses apportées par la Banque centrale européenne (BCE) sont-elles à la hauteur ?

La Banque centrale européenne s’avère être le seul acteur européen à apporter une réponse efficace. […] L’institution monétaire a rapidement compris que le principal enjeu de la crise actuelle est de résoudre un choc exogène qui a des conséquences sur la sphère économique et financière. Les Banquiers centraux ont aussi saisi que l’enjeu était de permettre aux entreprises de survivre pendant la période où leurs recettes sont nulles ou ont fortement chuté par un choc d’offre et un choc de demande. […]

La BCE a dit qu’elle allait inonder les banques européennes de liquidités pour qu’elles puissent prêter aux entreprises. Pour les grandes entreprises qui se financent sur les marchés, la BCE va acheter massivement des obligations d’entreprises.

Après une première erreur de communication catastrophique, la BCE a fait son boulot. Les divisions au sein du conseil des gouverneurs demeure néanmoins très présente.

  • Comment expliquer l’incapacité des Etats à apporter une réponse coordonnée sur le plan budgétaire ?

Cette incapacité peut s’expliquer par l’absence de véritable fédéralisme fiscal et budgétaire à l’échelle de l’Union européenne. Dans une organisation fédérale, il y a des transferts importants en cas de problème. L’Allemagne et les les Pays-Bas ne veulent pas d’une union de transferts. Ces Etats ont veillé à ce qu’aucun mécanisme de transferts ne fonctionne vraiment, hormis les fonds structurels dans le budget européen. La solidarité doit se limiter à une solidarité par les prêts pour ces pays. A chaque crise, la division entre les pays qui défendent un partage des risques et les pays qui ne veulent pas ressurgit. Chaque crise remet en avant les défauts de la construction de la zone euro.

  • Les 27 dirigeants de l’UE ont décidé jeudi dernier de donner 15 jours aux ministres des Finances de la zone euro pour trouver une riposte économique commune à la crise provoquée par le coronavirus. Quelles pourraient être les pistes à apporter ?

Comme tous les pays vont devoir faire face à une hausse de déficits à cause de la crise, tout le monde s’accorde à dire que la réponse sanitaire et économique est nécessaire. Du point de vue de l’interdépendance, tous les pays ont intérêt à une réponse commune et à se porter mieux après la crise.

[…] Avec cette forte chute de l’activité, il va falloir faire un plan de relance. Il est nécessaire d’avoir un budget plus fort pour faire plus d’investissements dans la transition écologique et de faire une réindustrialisation à l’échelle de l’Union européenne par exemple.

Cette crise a mis en avant notre dépendance à l’égard des pays étrangers, pour les médicaments ou les masques par exemple. Il y a des productions essentielles qu’il faut conserver sur le sol européen même si c’est plus cher.

[…]

  • La comparaison avec la grande dépression de 1929 ou la crise de 2008 est-elle justifiée ?

Sur la nature de la crise, la comparaison n’est pas forcément pertinente. Les crises de 1929 et de 2008 étaient inhérentes à la sphère financière avec des répercussions sur l’économie réelle. Là, le choc est exogène et touche avant tout l’économie réelle. Tout va dépendre de l’ampleur de la récession. Elle pourrait être pire que celle de 2008-2009.

La mondialisation des chaînes de production étaient moins importante dans les années 30. L’économie mondiale actuelle est plus interdépendante qu’à l’époque. Les pénuries mettent en avant cette très forte dépendance.

[…]


Interview réalisé par Grégoire Normand – La tribune. « En Europe, l’ampleur de la récession devrait être hors-norme » (Eric Dor, directeur des études de l’IESEG school of management) – Source (Extrait)