CETA : Le Canada et Attal

Premier ministre G. Attal vient de se précipiter au Canada, pour rassurer J Trudeau sur l’engagement du gouvernement Français dans l’application du traité de libre-échange avec ce pays.

Peu importe pour le premier ministre que le Parlement de son pays, devant lequel il est responsable n’a pas donné son aval à ce texte, puisque l’une des chambres, le Sénat l’a rejeté. Peu importe aussi que 10 États de l’Union européenne ne l’ont toujours pas voté.

La démocratie pour le Premier ministre n’est qu’un vulgaire tapis sur lequel il s’essuie les pieds.

Il a parlé d’un « accord gagnant-gagnant » mais il n’a pas dit « gagnant » pour qui. Le monde des affaires c’est sûr.

Pour l’emploi, les salaires, la préservation de la planète, c’est perdant-perdant. Pas un ouvrier Canadien, pas un ouvrier Européen n’a vu l’aspect « gagnant » du bon M. Attal.

Et les défenseurs de ces traités ne parlent jamais d’une question fondamentale : le pouvoir donné aux multinationales d’attaquer les États non pas en justice, mais devant des tribunaux arbitraux privés quand la législation est jugée par elle comme une entrave à l’augmentation des profits au niveau où elles le souhaitent. Bref, c’est le pouvoir des multinationales et de la haute finance contre les droits nationaux et contre les législateurs nationaux. M. Attal les devance et les rassure contre le vote des représentants du peuple Français.

Le texte présenté lors du Conseil des ministres du 3 avril 2024 sous l’intitulé ronflant « projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture » ne poursuit pas l’objectif qu’il prétend.

Il avait initialement pour objectif de lancer un plan d’installation de jeunes agriculteurs afin de faire face à la vague de départ en retraite de paysans dans les années qui viennent.

Sous l’effet du mouvement paysan récupéré par des forces de droite et du complexe agro-industriel, il est devenu une loi d’orientation plus générale amplifiant encore des choix anciens qui poussent les travailleurs paysans dans les difficultés et les souffrances tout en aggravant le recul de la souveraineté alimentaire.

Les travailleurs paysans qui ont besoin de prix garantis à la production ne peuvent y trouver leur compte et le « droit à l’alimentation » en quantité comme en qualité est nié.

Le texte qui devait être initialement soumis au débat de l’Assemblée nationale dès le 13 mai prochain. Or, la conférence des présidents de l’Assemblée nationale vient d’ajourner les débats sur proposition du groupe La France Insoumise de l’Assemblée nationale en s’appuyant sur l’arrêt du Conseil d’État qui considère que les « études d’impact » découlant de l’application d’un tel texte sont trop lacunaires. De fait, un débat autour d’un tel texte aurait dû tirer les leçons des effets pervers et destructeurs de l’insertion à marche forcée de la production de nourriture dans le capitalisme puis dans la mondialisation capitaliste accélérée dès les années 1990. Il n’en est rien.

Il devrait aussi prendre la mesure du dangereux carrefour dans lequel est entré l’agriculture et les cultivateurs. Le nombre d’agriculteurs diminue chaque jour au point qu’on peut penser qu’il n’en restera moins de 150 000 dans quelques années. Le mal-être et la souffrance parcourent les champs et les fermes.

Le modèle productiviste et extractiviste capitaliste épuise autant les travailleurs de la terre que la terre elle-même. Il est prouvé désormais que l’utilisation des cocktails chimiques pour traiter les cultures est aussi néfaste aux paysans qu’à la nature. La mise en concurrence des paysanneries du monde avec le fictif « prix mondial » des denrées agricoles détruit les agricultures vivrières et détruit : terre, cours d’eau et forêts.

Le gouvernement propose d’accélérer ce mouvement. Ses choix conduisent à poursuivre la concentration agraire et à utiliser une plus grande partie de la production agricole pour produire plus de carburants et d’électricité.

Si elle était approuvée en l’état, cette loi d’orientation accentuerait à coup sûr tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui.

Son orientation générale vise en effet à accélérer le productivisme capitaliste en faisant fi des conditions humaines et écologiques de la production, du développement des territoires, de la qualité alimentaire et de la lutte pour la vitalité de la biodiversité et pour enrayer les modifications climatiques.

Derrière un langage aguichant, l’article 1 du texte donne le ton ultra-libéral. « L’agriculture, la pêche, l’aquaculture et l’alimentation sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire ; qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la nation ». Le concept « d’intérêt général majeur » doit ici être compris comme l’impossibilité de contrarier une production agricole développée à n’importe quelle condition.

La pêche industrielle et ses bateaux-usines qui raclent les fonds marins ne pourraient être contestés. « Intérêt général majeur » est le moyen juridique permettant de placer la production au même niveau que l’environnement et le droit du travail pour s’affranchir de certaines contraintes réglementaires. Ce concept est encore accentué lorsque le lien est fait avec « la défense des intérêts fondamentaux de la nation ».

La production agricole est ainsi placée au même niveau que la défense nationale. Le Conseil d’État a demandé de retirer cette fin de phrase de l’article 1 du projet de loi.

Dans le même ordre d’idées, et sous couvert de « simplification », d’autres articles ont pour objet de faciliter les projets d’extension d’élevages intensifs de poulets, de porc ou de vaches laitières et des fermes aquacoles. Le membre d’article visant à permettre « d’accélérer les prises de décisions des juridictions en cas de contentieux contre des projets d’ouvrages hydrauliques » dont les méga-bassines dont on sait qu’ils ne profitent qu’à une infime minorité de paysans et épuisent les nappes phréatiques font fi de la démocratie et de l’environnement. Là encore le Conseil d’État a demandé de faire évaluer les conséquences de telles modifications dans notre législation.

La philosophie générale vise donc au nom de la compétitivité internationale, sans rapport avec nos besoins nationaux, à accélérer et à promouvoir une agriculture de plus en plus industrialisée, insérée dans la guerre économique internationale.

Derrière le prétendu projet de « la souveraineté alimentaire de la France » le primat revient à la concurrence au sein de l’Union européenne et le respect des traités de libre-échange comme le dit clairement le texte. Celui-ci expose que cette souveraineté « s’entend de sa capacité à assurer son approvisionnement alimentaire dans le cadre du marché intérieur de l’Union et de ses engagements internationaux ». Bref, le grand vent du large capitaliste !

Au travers de « groupements fonciers agricoles d’investissement », c’est le grand saut visant à mettre de plus en plus de terre entre les mains du capital financier. Cette proposition vise à permettre aux capitaux privés extérieurs à la production agricole de s’accaparer des terres pour les louer à des agriculteurs. Ceux-ci seraient ainsi placés sous la coupe du capital vorace en dividendes à partir du travail et de la nature. Voilà la légalisation d’une exploitation encore plus grande des terres, des animaux et des travailleuses et travailleurs.

C’est l’organisation de l’accaparement des terres par les forces de l’argent à l’opposé de l’usage des terres dans le cadre d’une multitude d’exploitations familiales à taille humaine pour une agriculture nourricière durable et une alimentation de qualité. Ainsi est préparée une nouvelle version de la rente foncière. Un débat sur la propriété des terres, la nature de leur utilisation ou exploitation serait bien utile. N’est-elle qu’un capital ou un outil de production à exploiter au risque de la rendre stérile à terme ou est-elle un bien commun dont il faut prendre le plus grand soin ? Il conviendrait de revenir à une régulation de l’accès à la terre.

De ce point de vue, la modernisation et la démocratisation des Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER) devraient être mises à l’ordre du jour afin de permettre à plus de jeunes de s’installer sous différents statuts y compris en leur donnant, pour un temps donné, un droit d’usage gratuit des terres nécessaires à une production agro-écologique. Ceci n’est possible qu’en changeant le rôle des banques dans l’installation des jeunes et pour l’annulation ou la renégociation des dettes qui enserrent nombre de paysans.

Cela ne serait évidemment pas suffisant sans la création d’offices publics par filières de production qui veillerait à une rémunération du travail et des investissements par des prix de base garantis des productions à la ferme. Ceux-ci pourraient être d’ailleurs différenciés selon une quantité de production par exploitation afin de défendre l’agriculture paysanne et soutenir la nécessaire planification agro-écologique.

Une telle loi ne peut non plus faire abstraction des secteurs industriels, agro-chimiques et commerciaux qui profitent tant du travail paysan.

Le temps est court d’ici le début de la discussion parlementaire, mais l’intervention citoyenne auprès des députés est possible pour obtenir une loi permettant à la fois aux paysans de vivre mieux, de leur reconnaître un statut tout en engageant un processus faisant du droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tout un droit réel.


La lettre de Patrick Le Hyaric – 12/04/2024. Source (Extraits – Lecture libre)


Une réflexion sur “CETA : Le Canada et Attal

  1. bernarddominik 14/04/2024 / 13h53

    La France n’est pas une démocratie, mais une oligarchie. L’opinion publique ? Macron s’en fout.

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