Medocs pas chers

Plus vite au cimetière !

Comment créer une catastrophe sanitaire, économique et sociale ? Un : confier la production de ces « biens » essentiels que sont les médocs à des grands groupes capitalistes. Deux : les laisser délocaliser leur production à loisir, notamment en Inde. Trois : leur imposer des prix d’achat trop bas pour leurs pilules bleues et roses.

Il faut en effet maîtriser les dépenses de santé, sous le poids desquelles notre pays est en train de crever. Mettre en place une politique de prévention ? Vous rigolez, ce serait tuer le bizness. Contraindre réellement les médecins ? Pas possible non plus, ils sont trop nombreux parmi les élus. Massacrer l’hôpital public ? Alors ça, oui, c’est fait, mais, sauf à demander aux femmes de ménage d’opérer, il n’y a plus rien à gratter question économies.

Alors, année après année, que fait le Comité économique des produits de santé (Ceps), cet organisme dépendant des ministres de la Santé et de l’Économie, et placé sous l’autorité de la Sécu­rité sociale ? Il impose des prix d’achat bas aux médicaments remboursés par la Sécu, et les labos n’y peuvent mais. Évidemment, je suis pour ! À mort les salauds de labos, leurs dirigeants millionnaires, leurs salauds d’actionnaires, voui, voui, voui.

Mais voilà : nos dirigeants aiment la mondialisation, qu’ils voient avec les lunettes roses de leurs potes patrons qui s’en gavent. Et donc il y a un marché planétaire du médoc. Les prix y sont autrement plus élevés que chez nous. D’où une pénurie globale de plein de trucs. Il ne faut donc pas être un génie pour comprendre que nos chers patrons « français » de laboratoire pharmaceutique n’ont pas de raison de livrer la pharmacie de Maubeuge si celles de Séville ou de Bonn leur filent plus de caillasse.

Et c’est précisément le cas. Même si les chiffres exacts sont à prendre avec précaution, car tout le monde ment dans cette histoire, on parle de 25 % de plus payés par les acheteurs publics au Royaume-Uni ou en Italie par rapport à la France, d’un écart de 30 %, voire plus, en Allemagne ou en Espagne. Et même de médicaments « en sortie d’usine » payés 63 % de plus par les autorités sanitaires en Irlande (1).

Alors, certes, la part des médicaments dans les dépenses du budget de l’assurance-maladie est passée de 11,7 % en 2010 à 8,9 % en 2023. Mais les industriels ont beau jeu de dire que les prix sont désormais trop bas. Et ce sont eux qui décident ! Ils cessent donc de plus en plus souvent de fabriquer des médicaments, prétextant que les prix de vente sont inférieurs aux coûts de production ; sans parler des frais de recherche, très élevés.

Les premiers à se plaindre sont les labos spécialisés dans la fabrication de médocs génériques, les « génériqueurs ». Ils sont maintenant soutenus par les pharmaciens, qui, chose assez inédite, appellent à une grève le week-end de la Pentecôte, tellement ils en ont marre de se faire insulter toute la journée par des patients qui ne trouvent pas les médicaments dont ils ont besoin, même quand ils sont vitaux. Il faut dire que la pénurie concerne, à des stades divers évidemment, pas moins de 4 000 références. Oups.

Bref, on est dans la mouise jusqu’au cou, et il va falloir faire des choix. Si le gouvernement veut réellement mettre fin aux pénuries, il va devoir sérieusement revaloriser les prix des petites boîtes blanches, quitte à exiger en contrepartie des labos qu’ils fournissent la France en premier. Mais peut-être préférera-t-il ne rien faire ? Supprimons les médecins, les phar­maciens — des centaines d’officines ferment chaque année — et les médicaments, et on réduira enfin les dépenses de santé. En plus, ce sera écologique, puisque ces médicaments, souvent inutiles, polluent les eaux de nos rivières pour des siècles.


Gilles Raveaud. Charlie Hebdo. 01/04/2024


1. « Médicaments : des prix bien moins chers en France qu’en Europe », par Caroline Robin (capital .fr, 12 mai 2023).


Une réflexion sur “Medocs pas chers

  1. tatchou92 04/05/2024 / 19h08

    Ras le bol effectivement de devoir courir pour trouver un collyre pour traiter la cataracte et de revenir bredouille après être allée dans 7 officines de ma ville et de la ville voisine (heureusement, il ne pleuvait pas..)
    -je pense bien évidemment aux amis, parents de province soumis au même régime.., sans avoir forcément de pharmacie dans le secteur, aux diabétiques en panne d’insuline, qui doivent se réhabituer à d’autres, aux parents qui ne peuvent soulager leurs petits,
    -aux autres traitements en rupture, sans équivalent par ailleurs, comme me le confirmait une pharmacienne cet après midi, je pense à mes collègues infirmiers qui s’arrachent les cheveux, pour recomposer les piluliers des patients isolés à domicile, qui ne comprennent pas pourquoi au lieu de prendre 3 comprimés roses, ils doivent en avaler 6 bleus (parce que cela n’est pas le même dosage).. heureuse qu’ils soient dépannés..

    – Pas d’accord avec Charlie, ce ne sont pas les médicaments vitaux qui manquent qui polluent les rivières, mais bien ceux de l’automédication, souvent pris sans prescription, sans avis du pharmacien, dans le cas du nomadisme pharmaceutique et médical…

    – ce n’est pas seulement pour nous coïncer, comme certains le pensent, que les facilités de délivrances, (par le pharmacien du quartier, qui détient dans son ordinateur, la totalité des prescriptions et médicaments fournis), mais aussi et surtout pour éviter de prendre des molécules qui ne feraient pas bon ménage, avec celles délivrées régulièrement.. cela nous évite par ailleurs de ne pas faire l’avance des frais et de ne pas régler la part prise en charge par la mutuelle, ce qui n’est pas négligeable. Ce que nous revendiquions depuis très longtemps..

    Heureux frontaliers de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse..même s’il faut faire l’avance des frais..
    Vite, vite des mesures urgentes qui pourraient, (comme cela avait été présenté lors d’une campagne électorale lointaine).. aller vers la nationalisation du secteur et la régulation des prix… un bienfait pour la Sécu, les assurés .. et révision de la question des mutuelles… bonne année !!

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