Nestlé et l’appât du grain

Selon le baratin publicitaire de Nestlé, on contribue à une œuvre sublime, on agit pour le bien de l’Humanité et on crée même un monde quand on boit une tasse de Nescafé. Quant aux cultivateurs mexicains pressurés par la multinationale, ils boivent la tasse, tout court.

« Déguster une tasse de Nescafé, ce n’est pas seulement apprécier un café à l’arôme riche et subtil, c’est participer à quelque chose de plus grand ». Ah bon. Carrément ?

Quelque chose de plus grand, juste en buvant une tasse d’eau chaude et de café soluble ? C’est prodigieux, dites donc. Mais par quel miracle, nom de nom ?

La réclame de l’an dernier, heureusement, apporte aussitôt la lumière : « Vous aussi, rejoignez des millions d’autres personnes dans le monde qui font le choix d’un café issu à 100 % d’un approvisionnement plus responsable. Faites la différence, avec Nescafé ».

Ce que conclut un slogan qui n’y va pas avec le dos de la cuillère : « Make your world », créez votre monde. Bigre. On n’imagine pas le pouvoir qu’on acquiert, rien qu’en achetant du Nescafé.

Poudre aux yeux

Lancé en 2010 à grand renfort de trémolos, le « plan Nescafé » promettait monts et merveilles.

Nestlé, qui domine le marché mondial du café, projetait d’investir des centaines de millions de dollars pour que son café en poudre devienne d’ici 2025, intégralement et merveilleusement « responsable », respectueux de la planète et du climat, pourvoyeur d’une prospérité et d’une félicité infinies pour les cultivateurs. Et ce dans tous les pays producteurs de café, notamment au Mexique. Franchement, c’était mirobolant.

Publiée le 28 mars 2024, une enquête de terrain menée par Public Eye montre hélas une réalité nettement moins charmante.

Dans l’État mexicain du Chiapas, en particulier dans la région méridionale du Soconusco, limitrophe du Guatemala, les paysans en colère brillent ries sacs de grains estampillés « plan Nescafé » devant des banderoles clamant que « Nestlé, entreprise sans éthique, appauvrit le Chiapas ». Ils dénoncent de belles promesses bafouées et des pratiques rapaces qui les acculent à la misère, « Nous sommes esclaves de Nestlé », crient-ils.

Et ils résument : « plan Nescafé, pur mensonge ! » Apparemment donc, si en buvant du Nescafé on participe à « quelque chose de plus grand », c’est peut-être bien à une très grande arnaque.

Vue sur l’amer

Que s’est-il passé concrètement ?

D’abord, le Soconusco est un coin fertile, depuis longtemps réputé pour sa production de café arabica Mais Nestlé, pour fabriquer son café soluble, préfère la variété robusta, de moindre qualité et plus rentable. L’arabica se cultive sous un couvert boisé qui prévient la déforestation et ménage la biodiversité, alors que le robusta est planté en terrain ouvert, qui favorise une exploitation plus industrielle.

Il y a quatorze ans, les gens de Nestlé ont donc poussé tous les petits producteurs de la région à abandonner l’arabica au profit du robusta Pour ce faire, la firme a distribué des millions de plants à haut rendement, prodigué des cours d’agronomie intitulés « Création de valeur partagée dans l’entreprise du café », et promis aux paysans des revenus deux fois plus importants qu’avec l’arabica.

Sauf qu’en fin de compte ce n’est pas le cas.

Au contraire, après quelques saisons le constat est comme le café amer.

Monopole peu éthique

D’abord, le robusta produit peu de grains si on ne le stimule pas à l’aide d’engrais, qui sont ruineux. Ensuite, les récoltes doivent satisfaire aux exigences de la « certification 4C », un machin cofondé par Nestlé pour prétendre aux vertus du café « durable », qui pour l’essentiel relève de la poudre aux yeux, mais qui réclame des investissements que les petits producteurs ne peuvent assumer sans se retrouver dans la mouise, Enfin et surtout, Nestlé profite de son monopole pour exercer une pression impitoyable sur les prix.

Résultat : les petits producteurs sont contraints de vendre leur grain à un tarif qui ne couvre même pas les frais de production. Ils tombent ainsi dans la dèche, avec de vilaines conséquences sociales : recours au travail des enfants et à une main d’œuvre guatémaltèque sous-payée exode des jeunes qui tentent d’émigrer aux États-Unis plutôt que de trimer comme « esclaves de Nestlé ».

Le Nescafé est donc bel et bien « responsable », mais essentiellement responsable de calamités.

Vaseux et pas communicant

Pour justifier ses prix d’achat bien trop faibles, Nestlé se défausse sur les intermédiaires qui lui revendent les récoltes. Lesquels intermédiaires protestent qu’ils n’y sont pour rien, car c’est Nestlé qui fixe les tarifs…

Le géant veveysan invoque par ailleurs les rigueurs boursières pour acheter le robusta à très vil prix Mais depuis une année, le cours du robusta a gagné 50% pour atteindre son plus haut niveau depuis 30 ans.

Or curieusement, Nestlé n’a aucunement répercuté cette hausse sur ses prix d’achat : au contraire, elle paie son robusta encore plus chichement que l’année d’avant.

C’est Dallas au Chiapas

Ainsi poussés à bout, les cultivateurs du Chiapas entrent en rébellion, brûlent les récoltes, se démènent et se débattent : « Nestlé s’en met plein les poches pendant que nous vivons dans la pauvreté », dénonce l’un d’entre eux devant les caméras. Manifestement, il n’a pas dû voir la pub et if ne comprend rien à la magie d’une tasse de Nescafé, il ajoute même que « Nestlé est en train de créer un grand conflit avec toute la population ». Un grand conflit ? Voilà donc encore « quelque chose de grand » !

Adressons donc un bon conseil à tous ces paysans mexicains désespérés par la rapacité hypocrite de la firme suisse : buvez du Nescafé et « créez votre monde », en veillant à ce qu’il soit moins dégueulasse. C’est pourtant simple !


Laurent Flutsch. Vigousse 05/04/2024


Merci à nos amis suisses, pour nous avoir « passé » cet article.


2 réflexions sur “Nestlé et l’appât du grain

  1. bernarddominik 14/04/2024 / 13h52

    Honteux. Nespresso ? Pas pour moi.

    • Libres jugements 14/04/2024 / 14h09

      Je ne comprends pas le sens de « honteux. Nespresso ? » dans ta phrase.
      Est-ce à dire que tu trouves le comportement de Nestlé, normal ou aurais-je très mal compris…
      Pour ma part Nestlé se comporte en parfait exploiteur d’une ressource qu’il peut acquérir à bas prix, tout en se faisant à max de bénéfices.
      J’en conviens que cela n’est pas normal, que l’exploité doit pouvoir vivre de sa production, que Nestlé use et abuse d’un pouvoir mais s’il n’y avait que cela pensons aussi à la distribution de toutes ces eaux en bouteilles pas si pure…

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