30 Milliards dans notre c…!

Le bouclier électrique a engraissé le privé

Il y a un délice particulier à lire les rapports de la Cour des comptes. C’est clair, il y a de jolis graphiques en couleur, le vocabulaire est soutenu, ce qui rend d’autant plus jouissifs les messages adressés aux irresponsables qui nous gouvernent.

J’ai lu pour vous le rapport intitulé « Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l’énergie », qui s’arrache actuellement à la Fnac. Il y a de quoi : les auteurs nous y expliquent que l’État, nous, les consommateurs, et les entreprises de France avons versé ces deux dernières années des sommes très élevées à des personnes inutiles — comme les « fournisseurs alternatifs » d’électricité, qui se contentent de la racheter à EDF — ou nuisibles — comme les spéculatrices et spéculateurs sur les « marchés de gros » de l’électron.

 Déroulant une analyse économique, sociale et écologique impeccable — mais pourquoi ces gens ne sont-ils pas au gouvernement ? la Cour adresse deux reproches fondamentaux aux « chèques énergie » et autres « boucliers tarifaires » déployés par Bercy-sur-Folie. D’abord, les mesures ne sont pas ciblées, et bénéficient donc autant aux ménages riches qu’aux ménages pauvres. Elles sont même davantage allées dans les poches des plus aisés, comme la fameuse « ristourne à la pompe », qui a allégé les dépenses du cadre qui prend son 4 x 4 pour aller bosser, mais pas les factures de sa femme de ménage qui prend son bus à 5 heures du matin.

De plus, ces mesures sont antiécologiques, aucune limite quantitative de consommation n’ayant été introduite, ce qui est délirant au moment où l’État diminuait, par ses aides, le prix que coûtent le pétrole, le gaz ou l’électricité aux clients finals. Le « signal-prix », c’est-à-dire la cherté volontaire de l’énergie pour nous dire qu’il faut l’économiser, a été aboli par ces aides, et ça rend dingues les filles et les gars de la Cour, qui ont mille fois raison.

L’une des pépites est page 97, où le graphique 20 présente le « bilan monétaire électrique projeté pour 2023 au périmètre de la métropole ».

Sous ce titre imbitable se trouve une chose très simple, un bilan comptable, divisé comme il se doit en deux colonnes. Colonne de gauche, ce que l’État, les ménages et les entreprises ont dépensé pour acheter du jus en 2023. Colonne de droite, les coûts complets de production et de transport de ces mêmes merveilleux électrons qui nous chauffent, nous éclairent, nous rassurent.

Et là est la pépite : un gouffre de 42 milliards entre ce que la collectivité a dépensé et le coût réel de cette électricité. 42 milliards ! Bon, une fois pris en compte l’impôt sur les bénéfices, la marge nette sera inférieure, de l’ordre de 30 milliards. Mais ce gavage est historique.

On n’avait pas vu ça depuis, voyons, les profits de Total (déjà), de CMA CGM, des restaurateurs, des laboratoires d’analyses médicales et des labos pharmaceutiques pendant le Covid. Ah ben, depuis pas longtemps du tout, en fait…

Ce coup-ci, l’immense erreur de l’État aura été de ne pas verser les aides directement, mais d’avoir filé la thune à Engie, ENI, TotalEnergies et consorts. Or, comme le disent avec délicatesse les auteurs, cette « mise en œuvre intermédiée […] n’est pas exempte de risques d’effets d’aubaine dès lors qu’une partie des aides ne se traduit pas par des baisses de prix ou au contraire permet de surcompenser la hausse initiale des prix ».

Traduction : il fallait être con comme un balai pour ne pas voir que les camarades capitalistes allaient se sucrer au passage.

En conclusion, pour la Cour, l’État doit procéder à une « révision des dispositifs de captation des marges bénéficiaires de la filière ».

En clair, augmenter les impôts sur les fournisseurs et intermédiaires d’électricité, plutôt que de continuer à bastonner le consommateur.

Le Maire va-t-il s’en prendre à ses poteaux pour défendre le bien public ?

Le suspense est insoutenable.


Gilles Raveaud. Charlie Hebdo. 10/04/2024


2 réflexions sur “30 Milliards dans notre c…!

  1. bernarddominik 14/04/2024 / 13h38

    Ce qui me gêne dans cet article, c’est qu’il prétend que le chèque énergie a été donné à tout le monde y compris les cadres aisés qui auraient des SUV. C’est faux.
    Le plafonnement du prix du carburant n’a pas été un cadeau, il a simplement stabilisé les taxes, à un niveau très haut par ailleurs, quant au chèque énergie, il a profité aux faibles revenus y compris ceux qui n’ont pas de voiture.
    La réalité est tout autre : l’état a accepté un prix de l’énergie décorrélé du prix de revient pour d’une part permettre à EDF de se refaire une « santé-environnement », d’autres parts permettre aux spéculateurs de s’enrichir, et je prétends que ce vol légal a été fait volontairement par Mr Le Maire et son chef Macron.

  2. tatchou92 14/04/2024 / 22h23

    -Et on voit aujourd’hui des usagers, qui s’étaient désengagés d’EDF pour rejoindre ses concurrents, se mettre à genoux pour revenir…
    -On a vu le cirque, la course pour pouvoir faire la queue chez les pompistes pour glaner quelques dizaines de litres du précieux carburant… si les stations avaient encore de la réserve… même combat pour le fuel domestique..
    -Ce serait certainement plus utile de favoriser les transports en commun sur tout le territoire et cela viderait moins le portefeuille..des contribuables, mais çà n’est pas vraiment à l’ordre du jour ici…. vu la douloureuse qui sera appliquée aux touristes et amateurs de sport pendant les JOPARIS 2024, le ticket devrait passer à + 4€ … même courbe ascendante, la circulation automobile dans la capitale revue.. ou plutôt même course au profit, pour les nuitées hôtelières, chez les particuliers, et le prix des places dans certains sports… c’est pas le moment que la télé flanche…

Rappel : Vos commentaires doivent être identifiables. Sinon ils vont dans les indésirables. MC