Un film…

… il fait l’actualité, pourtant le sujet est « hélas » vieux comme le monde.

Adapté du livre dans lequel Vanessa Springora raconte l’emprise de l’écrivain Gabriel Matzneff sur elle alors qu’elle n’avait que 14 ans, Le Consentement, de Vanessa Filho, a bénéficié d’un regain d’intérêt au box-office. La raison ?

Une tendance sur les réseaux sociaux, lancée par de jeunes spectateurs choqués par l’atrocité des scènes de violences sexuelles. Les explications d’Héloïse Van Appelghem, docteure en études cinématographiques spécialisée dans les questions de violences sexistes et sexuelles.

  • Pourquoi les scènes de violences sexuelles du Consentement ont-elles suscité un tel choc ?

Toute la mise en scène est conçue pour montrer les mécanismes de domination. Il n’est pas question de sexe consenti mais bien d’une logique de possession. Lors de la première scène de viol, la caméra, placée juste au-dessus des personnages, montre comment le corps de Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve) fait totalement disparaître celui de Vanessa Springora (Kim Higelin).

Filmer de profil n’aurait pas eu le même rendu ; car la plongée sert aussi à appuyer la disproportion de ces deux corps opposés par la taille ainsi que par l’âge, et donc l’anormalité de cette relation. Cela m’a rappelé Slalom (2020), un film de Charlène Favier, qui évoque également une affaire de prédation d’un entraîneur de ski sur sa jeune élève. Cela n’aurait pas eu de sens d’occulter ces scènes qui sont, certes, atroces, mais on a besoin de ressentir ce choc en tant que spectateur pour ouvrir les yeux sur la pédocriminalité. Cet engloutissement du corps montre également une annihilation mentale.

  • Justement, selon vous, le processus d’emprise de Gabriel Matzneff sur Vanessa Springora est également montré dans des scènes qui ne sont pas sexuelles…

Durant tout le film, Matzneff accapare l’image ainsi que l’espace sonore. Juste avant la première scène de viol, l’écrivain demande à Vanessa si elle a déjà eu un petit ami. Lors de ce dialogue, on a une série de champs/contrechamps dans laquelle Matzneff occupe la majorité de l’espace. Lorsque l’auteur prend la parole, n’apparaissent que les cheveux de la jeune fille.

Or, lorsque c’est elle qui s’exprime, le crâne de Matzneff occupe la moitié du cadre et est presque central. Il vampirise l’image. C’est la logique du Pygmalion, qui forge un objet idéal qu’il vide de son humanité, de son histoire, de ses envies…

C’est ce que Springora écrit dans son livre : « Quelque chose comme ma présence au monde s’efface ». À un moment, Vanessa est dans la chambre d’hôtel et observe son collège par la fenêtre. Mais on entend la voix de l’écrivain, qui est hors champ.

Cette fenêtre ouverte sur le monde est tout de suite colonisée par la surveillance de Matzneff. La façon dont il s’adresse à elle en l’appelant « mon enfant chérie » rappelle beaucoup la figure du loup dans les contes de Perrault (1).

  • Pourquoi cette tendance virale sur les réseaux sociaux, qui consistait à se filmer avant et après être allé voir le film, a-t-elle émergé chez les jeunes spectateurs ?

La façon de filmer est si frontale qu’il est impossible de ne pas ressentir de l’empathie pour Vanessa Springora. Il y a aussi l’usage, par moments, d’une caméra subjective [permettant de voir à travers les yeux d’un personnage, ndlr] qui favorise l’identification des jeunes spectateurs. Bien qu’elle ne soit qu’adolescente, Vanessa est forcée de grandir trop vite. Lorsqu’elle apparaît blonde, maquillée et avec une cigarette à la main, on voit qu’elle est dans une forme d’autodestruction. Il y a dans le récit une nécessité de montrer que le traumatisme a des impacts physiques.


Propos recueillis par Joanna Blain. Télérama n° 3876. 24/04/2024


  1. Une idée suggérée par Vanessa Springora dans son livre : « Cet homme n’était pas bon. Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance : un ogre ».

Notre appréciation. J’ai vu ce film, bien calé dans mon fauteuil et il m’est difficile de dire l’avoir apprécié. D’abord le sujet m’a gêné à divers titres et en tout premier parce que quoi qu’on puisse penser de l’histoire, le film est très bien fait, sa narration, ses tempos, son découpage, sa musique, également bravo à Jean-Paul Rouve pour son interprétation exécrable a souhait, maintenant à lui seul l’ensemble du film. Je suis beaucoup plus réservé quant à la présence et l’interprétation de Kim Higelin quant à Laetitia Casta qui joue le rôle de sa mère autant ne rien dire tant elle est inexistante.

Pour conclure. Faut-il inciter les jeunes à regarder ce film afin qu’il se rende compte de l’immoralité de la situation et du danger moral, intellectuel, qu’il représente pour de jeune victime ? Faut-il décrier ce film au titre de l’apologie de la pédophilie sans pour autant en faire une leçon ?

Deux de mes petites-filles, sont à peu près à l’âge de l’héroïne et j’avoue être très inquiet pour elle.


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