Espionnage

Le grand bond en avant chinois de l’extrême droite allemande

Dans un sondage du 24 avril publié par le Frankfurter Rundschau, la CDU-CSU conserve pour les élections européennes, avec 29,4 % des intentions de vote, une avance significative sur la formation d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (MD, 16,9 %), laquelle dépasse toutefois les sociaux-démocrates (16 %). Cet ordre d’arrivée sera-t-il bousculé par les accusations de liens avec la Russie et la Chine qui écornent l’AfD et sa tête de liste, l’avocat Maximilian Krah ?

Le même 24 avril, une enquête préliminaire a été lancée par le parquet de Dresde contre Krah et son assistant parlementaire, un Allemand d’origine chinoise qu’il a congédié après qu’il a été très fortement soupçonné d’avoir espionné des opposants chinois en Allemagne et d’avoir partagé des informations sur le Parlement européen avec un service de renseignements de Pékin.

L’attirance de l’AfD pour Poutine n’est pas un secret. Elle est dans la droite ligne d’une vieille tentation allemande pour le neutralisme, qui touche une partie de la gauche et, depuis les années 1920-1930, des milieux nationalistes. Mais pour l’empire du Milieu ? Eh bien, ce n’est pas une surprise non plus, s’agissant de Maximilian Krah.

Il est de notoriété publique que Krah a, par le passé, donné des entretiens à la presse chinoise, qu’il a été invité en Chine et a congratulé Pékin pour l’annexion du Tibet. Dans son activité parlementaire, il avait en 2021 été un des rares élus à s’abstenir de voter une résolution appelant à incorporer au traité commercial Chine-Union européenne une clause de respect des droits de l’homme.

En décembre dernier encore, il intervenait en plénière pour mettre en garde ses collègues contre un contrôle accru des transferts de technologie avec la Chine, une mesure demandée par la Commission pour des raisons sécuritaires. Krah est-il « à la solde » des Chinois contre espèces sonnantes ? Ou par conviction, les deux n’étant pas mutuellement exclusifs ?

En 2023, il publiait chez l’éditeur néodroitier Verlag Antaios une sorte de manifeste préélectoral intitulé Politik von rechts, traduit en français quelques mois plus tard par les éditions de La Nouvelle Librairie sous le titre Allemagne : plaidoyer pour une droite identitaire. Il ressort du livre une omniprésente rengaine : il faut un nouvel ordre mondial multipolaire pour mettre fin à l’universalisme d’inspiration occidentale, qui n’est que le masque de la domination américaine.

Pour l’auteur, un des ressorts de ce nouvel ordre est le tianxia, concept chinois d’origine confucéenne qui signifie « tout ce qui existe sous le ciel » et que le pouvoir chinois réactive comme clé de voûte des relations internationales.

Le tianxia, c’est un ordre civilisationnel à prétention universelle qui peut être ouvert et limiter la conflictualité, ou bien nationaliste et fermé, donc mettant en avant la supériorité de la voie chinoise vers la modernité. Krah, dans son ouvrage, défend la vision de Deng Xiaoping consistant à « associer l’ouverture économique à un recours aux traditions chinoises, tout en rejetant explicitement la libéralisation sur le modèle occidental ».

Dans sa déclaration d’intérêts, l’avocat, qui dit percevoir 12 000 euros par mois de son activité professionnelle, mentionne quand même avoir été invité en Chine par Huawei, le géant des télécoms, et par une société nationale d’hydrocarbures. Membre de la commission du Commerce international au Parlement européen, Krah est un idéologue, mais qui ne déteste pas l’argent…


Jean-Yves Camus. Charlie Hebdo. 01/05/2024


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