Sauver l’hôpital afin qu’il nous sauve

Le jour où l’on aura besoin de l’hôpital, on regrettera de ne pas avoir été là quand il avait besoin de nous.

J’ai un faible pour les illustrations de villes dans les livres pour enfants. Des petits personnages promenant leur chien, des cerfs-volants dans le ciel, des maisons, des parcs – diaporamas sur doubles-pages de l’idée que se fait l’enfant de la ville. Il y a des boutiques, une école, un bureau de poste. Peut-être un cinéma, une gare ou une église. Et, toujours, un hôpital. Avec un petit vieux qui sourit dans une fauteuil roulant et un enfant triste,
la tête bandée. Étrange présence dans toute cette gaieté colorée enfantine. Surprenant ? C’est que même dans cette version abrégée et pimpante de l’espace civique, l’hôpital a sa place. C’est un élément moral, un hôpital. Le dernier bâtiment vraiment sacré de nos villes profanes. Rempli de malades et de mourants, un produit de luxe ingrat (moins qu’un sous-marin ou un porte-avions).

L’endroit où l’on va quand les choses tournent sérieusement mal. L’atelier de réparation des humains en panne, la décharge où l’on envoie les défunts à la casse. Personne n’y va pour le plaisir. Et pourtant, nous révérons l’hôpital. En majorité. L’espace éthique et politique occupé par la médecine et les hôpitaux est indiscutable. Les politiciens en font un refrain, et la culture populaire loue les infirmières comme des anges (ce qui n’empêche pas de les sous-payer). Dans le sentiment public, la santé est une priorité. C’est pour beaucoup une histoire d’âge.

Aujourd’hui, la santé, c’est la Palestine des politiques intérieures.

Avec un peu de chance, les jeunes s’en passent. Parce que leurs poumons et leur foie fonctionnent à merveille. C’est une vérité biomécanique qui change tout. On n’est pas obsédé par la santé publique quand son propre système cardio-vasculaire sort de l’usine. Naguère, c’étaient les problèmes de santé de la génération des parents qui entachaient cette tranquillité garantie par la date de péremption. Vers 30, 40 ans, les personnes squattaient les couloirs d’hôpitaux pendant que leurs papas-mamans souffraient les pires épreuves. Mais, la médecine progresse tant que, désormais, les parents tombent malades et meurent quand leurs enfants ont 50, 60 ans. Un magnifique patrimoine génétique et une bonne étoile, et vous traversez un confortable demi-siècle sans fréquenter les hôpitaux.

On le voit bien à l’importance que l’on ne possède pas de donne à la santé publique parmi les préoccupations politiques. Au premier ou au deuxième rang il y a encore trente ans, elle a progressivement laissé place à la fiscalité, à l’immigration, aux salaires ou à l’identité. Aujourd’hui, la santé, c’est la Palestine des politiques intérieures : tout le monde dit ce qu’il faut dire, mais elle manque de vrais amis. Des citoyens en bonne santé sont la marque d’un État décent et, en un sens, son pire ennemi. On va trop bien, on s’en fout.

Mais notre jour viendra. Pour voir ce qui arrive quand on relègue la santé dans l’ordre des priorités politiques, allez faire un tour aux États-Unis, où l’espérance de vie dégringole et où la mortalité infantile est la plus haute du monde développé.

Nouveau-né, adolescent, athlète ou poète, votre séjour humain finira à l’hosto. Autant s’assurer qu’il y en aura encore quand ce sera votre tour.


Robert McLiam Wilson. Charlie Hebdo. Attention article paru le 8 mai 2019. Source