Il est des mots-images…

Tout d’abord, j’ai vu un film étrange : « En attendant Bojangles »…

… à vrai dire, assez mal fait à mon avis, mais qui me révéla que la trame du scénario provenait d’un livre qui eut quelques retentissements en 2016.

Ce livre, je l’ai vite acquis, ce livre, je l’ai lu… c’est tout juste si je n’ai pas, (comme le sketch de Dany Boon), lu chaque lettre formant un mot, m’etre extasié par les phrases pourtant salissants d’encre noire chaque page blanche, j’aurais dû, j’aurais pu, lire le n° des pages tellement j’étais absorbé par la lecture. Je dois dire que le livre une fois refermée fera partie des livres qui resteront « accrochés » quelques part dans ma mémoire. Note, il est paru en livre de poche.

Libre à vous de ne pas partager mon avis. MC


Peu avant minuit, la foule s’était écartée devant le perron pour dégager une piste de danse en rond.

Les couples défilaient un par un, pour danser devant la chanteuse et son orchestre. Il y avait des couples de vieux qui dansaient avec leurs os fragiles et toute leur expérience, pour eux la danse était presque comme une science, leurs gestes étaient sûrs et millimétrés, ils donnaient l’impression qu’ils ne savaient faire que ça, danser et encore danser, et tout le monde applaudissait pour les féliciter.

Les jeunes couples passaient montrer leur fougue cadencée, ils allaient tellement vite que, par moments, on pouvait croire que leurs vêtements aux couleurs vives allaient s’enflammer. En dansant, chaque couple se dévorait des yeux, avec un drôle de mélange entre domination et admiration et, par-dessus tout, une brûlante passion. Et puis il y avait aussi les couples entre générations et là, c’était vraiment trop mignon. Les petits garçons dansaient avec leur grand-mère, les petites filles avec leur père, c’était maladroit, brouillon et tendre mais c’était toujours fait sérieusement, avec application et attention, et rien que pour ça, c’était beau à voir, alors tout le monde applaudissait pour les encourager.

Et puis tout d’un coup, j’avais vu Maman sortir de nulle part pour rejoindre le coeur de la piste en sautillant, une main sur la hanche et l’autre offerte en direction de mon père. Même si elle avait l’air sûre d’elle, j’avais vraiment eu très peur et j’ai pensé qu’ils n’avaient pas le droit à l’erreur. Papa était entré dans l’arène le menton dressé et la foule s’était calmée, par curiosité, pour observer danser les seuls étrangers de la soirée.

Après un silence d’une éternité, l’orchestre avait démarré et mes parents avaient commencé à danser doucement en se tournant autour, la tête légèrement baissée et les yeux dans les yeux, comme s’ils étaient en train de se chercher, de s’apprivoiser.

Pour moi, c’était beau et angoissant à la fois. Puis la grande dame en rouge et noir se mit à chanter, les guitares s’énervèrent, les cymbales se mirent à frétiller, les castagnettes à claquer, ma tête à tourner et mes parents à voler.

Ils volaient mes parents, ils volaient l’un autour de l’autre, ils volaient les pieds sur terre et la tête en l’air, ils volaient vraiment, ils atterrissaient tout doucement puis redécollaient comme des tourbillons impatients et recommençaient voler avec passion dans une folie de mouvements incandescents.

Jamais je ne les avais vus danser comme ça, ça ressemblait à une première danse, à une dernière aussi. C’était une prière de mouvements, c’était le début et la fin en même temps. Ils dansaient à en perdre le souffle, tandis que moi je retenais le mien pour ne pas rien rater, ne rien oublier et me souvenir de tous ces gestes fous.

Ils avaient mis toute leur vie dans cette danse, et ça, la foule l’avait bien compris, alors les gens applaudissaient comme jamais, parce que pour des étrangers ils dansaient aussi bien qu’eux.

C’est sous un tonnerre d’applaudissements qu’ils saluèrent la foule, les applaudissements résonnaient dans toute la vallée rien que pour mes parents, et moi j’avais recommencé à respirer, j’étais heureux pour eux, et épuisé comme eux.


Extraits de « En attendant Bojangles ». Olivier Bourdeaut


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