Chasse à la flemme publique

C’est l’une des rengaines préférées de la droite, que la Macronie a, sans surprise, faite sienne : le fonctionnaire, cette feignasse surnuméraire toujours en vacances, en congé maladie ou en grève, qu’il faut à tout prix mettre au pas cadencé de la « compétitivité » et de l’« efficacité ».

La réforme de la fonction publique de 2019 n’ayant visiblement pas porté les fruits attendus, l’actuel ministre en charge des ronds-de-cuir, Stanislas Guerini, entreprend donc d’apporter sa propre pierre à l’édifice de la « modernisation » de l’État, en s’attaquant cette fois au statut des fonctionnaires. Avec en ligne de mire les tire-au-flanc.

Déplorant que l’« on ne puisse pas se séparer d’un agent qui ne ferait pas son boulot », le ministre promet de « lever le tabou du licenciement dans la fonction publique » et de « sanctionner ceux qui ne travaillent pas de manière persistante, qui sont démotivés ». C’est tout l’esprit du projet de loi actuellement en préparation, qui devrait être présenté au Parlement à l’automne prochain.

Sur le principe, rien à redire. Tout usager des services publics rêve d’avoir affaire à des agents de l’État compétents, assidus et motivés. De même que tout fonctionnaire rêve d’avoir des conditions de travail lui permettant d’assurer sa mission au mieux des intérêts de la collectivité et des citoyens.

Mais ces deux rêves complémentaires viennent s’écraser contre Le mur de la réalité. Laquelle est directement tributaire de la gestion et de l’organisation « entrepreneuriale » des affaires publiques, telles que voulues par la quasi-totalité des gouvernements qui se sont succédé depuis au moins trois décennies.

Réductions d’effectifs, privatisations, transferts de compétences, délégations de services publics, ouverture à la concurrence, « diversification »… Autant de mantras pour premiers de la classe d’école de commerce, qui ont servi — et servent plus que jamais, en dépit des résultats obtenus — de boussoles politiques et idéologiques à nos dirigeants éclairés. Emmanuel Macron, tout à son obsession pathologique pour les « nouvelles technologies », en a ajouté une de plus, comme un dernier clou planté dans le cercueil : la « dématérialisation ».

Or, n’en déplaise à Stanislas Guerini, il y a pire qu’un fonctionnaire qui fait mal son travail : un fonctionnaire remplacé par une plateforme digitale, un portail numérique, un serveur vocal, des algorithmes, une application, des QR Codes…

Faire la queue derrière un guichet où somnole un employé qui digère son plateau-repas est certes déplaisant, voire exaspérant, mais beaucoup moins insupportable que de se voir confronté à l’autisme d’un robot vocal répétant en boucle « je-ne-comprends-pas-la-question », ou d’attendre inlassablement devant un écran qu’une loterie numérique veuille bien vous connecter sur rienafoutre.gouv

En février 2022, Claire Hédon, la défenseure des droits, avait rédigé un rapport dans lequel elle concluait que la dématérialisation des services publics constituait un « obstacle aux droits » pour plusieurs millions de citoyens en France, soit parce qu’ils n’ont pas accès à Internet, soit parce qu’ils sont victimes d’« illectronisme » — en clair, ils préfèrent parler à un être humain, fût-il le plus borné des fonctionnaires.

Elle notait en outre que, depuis le début de la pandémie de Covid-19, qui avait accéléré la dématérialisation de tout et n’importe quoi, les réclamations concernant le « droit à la connexion » avaient augmenté de 15 à 20%. On comprend l’agacement de Stanislas Guerini, qui n’a pas fait HEC pour ne pas pouvoir virer un fonctionnaire qui « ne fait pas son boulot ».

Mais que dire d’un État qui ne fait pas davantage son boulot, à savoir, entre autres, de permettre à ses citoyens d’avoir accès à des services publics performants, de préférence dans des bâtiments non vétustes et accessibles à tous ? Des fonctionnaires efficaces et motivés, qui serait contre ? Sauf que Macron ne semble pas le plus apte à pouvoir — ou plutôt à vouloir — nous les offrir.


Gérard Biard. L’hebdo. 17/04/2024


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