Libres jugements

La France ayant inscrit le droit d’avorter dans sa Constitution, les catholiques les plus fanatiques écument de fureur, paniquent ou se lamentent : un spectacle désopilant en diable.

Réunis le lundi 4 mars au Palais de Versailles, les députés et sénateurs l’ont inscrit dans le texte fondateur de la République française : la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse est un principe désormais acquis et intangible. C’est une première mondiale.

Notoirement experts en matière de sexe, d’obstétrique et de condition féminine, les chastes prélats de l’Église catholique ont évidemment protesté. Au Vatican, l’Académie pontificale pour la vie s’est fendue d’une déclaration selon laquelle « il ne peut y avoir de « droit » à supprimer une vie humaine », et la Conférence des évêques de France a lancé un appel au jeûne et à la prière. Rien de très étonnant jusque-là, même si on ignore en quoi le jeûne peut agir sur les lois démocratiques.

En revanche, les mouvances les plus bigotes se répandent sur la Toile en imprécations et jérémiades dotées d’un triple intérêt au moins : procurer aux psychiatres un sujet d’étude inépuisable, aux amateurs d’Histoire une plongée en plein Moyen Âge et aux rieurs des plaisirs roboratifs. Car en vérité, on vous le dit, quand les ultra-cathos se déchaînent, c’est à du gratiné qu’on Satan. Petit florilège.

La isiaque du démon

« IVG = Intention Volontaire d’un Génocide », « La République ne serait-elle pas un régime assoiffé de sang ? », « Seigneur, comment ta fille aînée de l’Église peut-elle tomber si bas ? », « Honte éternelle à ces parlementaires ignobles », « Ils périront tous en enfer, car Dieu ne leur pardonnera jamais ces meurtres de petits anges », « Ils tomberont dans l’étang de feu », c’est « un crachat à la face de Dieu », c’est « une orgie démoniaque » !

Car oui, c’est bien Belzébuth soi-même qui tire les ficelles. Mais attention, Dieu n’a pas dit son dernier mot. Il s’y connaît en terribles châtiments et ça va fumer : « Le choc divin en retour risque d’être violent pour la République française », « Prions pour que le Bras de Dieu appesanti par tant de péchés ne s’abatte pas violemment sur la France ! », « Cet acte odieux va nous amener la guerre, préparons-nous et, prions ! », « Prions, prions et encore prions, au secours, sortez de vos tombeaux ! » Bref, on ne sait pas encore s’il pleuvra du soufre ou des grenouilles, mais la colère de Dieu fera du vilain, qu’on se le dise.

Le meilleur de l’impie

Au-delà des poussées de fièvre mystique et des saints gémissements sur le sort « des petits anges innocents » (les embryons bien sûr, pas les bambins victimes d’abus cléricaux dont nul ne fait mention), l’inscription de l’accès à l’IVG dans la Constitution a stimulé les aigreurs des maniaques dont la cervelle gangrenée emmêle le Christ-Roi, le nationalisme identitaire, le royalisme, l’antisémitisme et le complotisme en un nauséeux brouet d’extrême droite.

« A bas la République judéo-maçonnique, vive le Roy, et gloire à Dieu et la Vierge Marie ! » clame un spécimen typique. D’autres allumés mieux-sachants voient dans le droit à l’avortement un moyen perfide d’alimenter un épouvantable commerce mondial de foetus humains, entiers ou débités.

C’est le cas de l’expert polyvalent Francis Lalanne en personne, pour qui tout ça est manigancé par les « satanistes » et les « pédo-mondialistes ». « Est-ce pour le sang, pour la génétique, pour simplement récupérer des organes ?

On est en droit de se poser la question », insinue le dénommé Richard Boutry, ancien journaliste ayant sombré dans les théories fumeuses, qui précise : « On est dans un monde sataniste c’est l’un des grands canons de la franc-maçonnerie qui l’emporte aujourd’hui ».

Pour d’aucuns, les élites impies se servent de l’IVG dans un autre noir dessein : décimer la population blanche pour favoriser l’invasion métèque et le « Grand Remplacement ». Le négationniste et antisémite déclaré Hervé Ryssen oppose ainsi, en caricature, de redoutables femmes noires attendant d’accoucher et de traîtresses femmes blanches attendant d’avorter (dommage que sa mère n’y ait pas songé).

Civitas sort le parabellum

Mais le plus grièvement atteint de tous est sans doute Alain Escada, fondateur du mouvement intégriste Civitas dont une excroissance s’agite en Suisse, particulièrement en Valais. Lui, pour citer Michel Audiard, « c’est une synthèse ». Ne boudons pas la joie de déguster sa pompeuse déclaration pour mesurer l’étendue du mal : « La République française est un Moloch.

Née dans le sang des Vendéens en 1793, elle en embrochait déjà les enfants. Fondée sur un régicide, elle a choisi symboliquement le château de Versailles pour inscrire en 2024, dans le marbre de sa Constitution, sa soif du sang des enfants innocents. Quel spectacle ignoble ! […]

Cette politique mortifère conduite par la secte maçonnique est le suicide d’une nation. Le grave déclin démographique qui en résulte sonne le glas du peuple français, que ceux qui nous gouvernent prétendront encore compenser par plus d’immigration.

Le plan mondialiste de dépopulation poursuit ainsi son chemin à cadence accélérée. Ce crime contre Dieu, contre les enfants à naître et contre la patrie ne sera pas impuni. Il entraînera bien des châtiments dans les années à venir, ayons-en bien conscience.

Catholiques, prions-plus que jamais pour le salut de la France, dans des temps qui s’annoncent particulièrement difficiles ». Et quand on aura fini de prier, rendons encore grâce à Dieu, qui dans son infinie miséricorde égaie le monde en produisant tant de clowns. Amen.

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Laurent Flutsch. Vigousse 15 Mars 2024

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