Partager la montagne !

 […] Au Pays basque, seuls les vautours tournent plus vite que la météo.

À l’approche du sommet du Baïgura, les nuages, si menaçants quelques instants auparavant, s’écartent subitement et les volatiles viennent planer au-dessus de nos têtes.

Dans les vallées qui entourent le massif de 897 mètres, les anciens parlent d’une montagne autrefois « blanche de brebis ». Il faut aujourd’hui grimper haut sur ses flancs pour trouver, au milieu des pottoks (les poneys basques), quelques troupeaux d’ovins pâturant dans les landes de fougère, de bruyère et d’ajonc.

L’absence d’animaux rend les versants plus touffus : certaines zones en forte pente sont devenues des bosquets impénétrables. Sur ce moyen relief situé à une trentaine de kilomètres de Bayonne, la moitié des brebis auraient disparu en une dizaine d’années. Quant aux vaches, il n’y en a carrément plus.

Sur le Baïgura, une dizaine d’éleveurs seulement continuent à transhumer vers les estives (les pâturages d’altitude), parmi lesquels Xemartin Auchoberry, éleveur de brebis laitières produisant le célèbre ardi gasna, le fromage de brebis basque.  […]  Mais, le pastoralisme, ancré dans la tradition ancienne de l’élevage basque et favorisé par les 47 000 hectares de pâturages collectifs en montagne, est peu compatible avec les demandes de l’agriculture productiviste.

Pour rester compétitifs, les éleveurs doivent produire davantage, une plus grande partie de l’année… De quoi décourager les bergers de continuer à monter les bêtes de la fin du printemps jusqu’à l’automne, sans produire de lait.

Si elles accueillent moins de populations à quatre pattes, les montagnes basques attirent en revanche toujours plus de bipèdes. Basses et facilement accessibles, situées sur un territoire très touristique en forte croissance, elles sont confrontées à la question de leur multi-usage : agricole, résidentiel et surtout de loisir.

Au pied du Baïgura, une base propose de le découvrir à parapente, à vélo électrique ou à trottinette tout-terrain. Des activités éloignées de la culture montagnarde traditionnelle, qui y amènent de nouveaux utilisateurs, touristes comme autochtones, profanes en matière de faune, de flore, de barrières, de cabanes… De quoi transformer la montagne en simple terrain de jeu.

Ce n’est pas sans conséquences pour les éleveurs, dont elle est l’outil de travail, et pour les animaux, dont elle est le cadre de vie.  […] Souvent négligé au profit de la côte, l’intérieur des terres a connu un afflux inédit de visiteurs.

Au point que sur la Rhune, le plus célèbre sommet, traversé par la frontière franco-espagnole, des éleveurs ont dû faire descendre leurs troupeaux face à l’affluence.  […] Ces tensions ponctuelles ont ravivé les réflexions autour du partage durable de la montagne, dont la gestion a toujours été collective.

 […] “Contrairement aux idées reçues, les incivilités sont d’abord l’œuvre des locaux eux-mêmes.” Battitt Laborde, maire de Sare

Les élus locaux semblent l’avoir compris : le groupe de travail Gure Mendia (« notre montagne »), créé en 2016, a été relancé pour rassembler les acteurs des deux côtés de la frontière.  […]

Les premières décisions se veulent éducatives : nouvelle signalétique pour sensibiliser au pastoralisme, tout en essayant de ne pas couvrir les massifs de panneaux et mise en place pour 2022 d’une « brigade verte », financée par les collectivités locales. « Ce seront des agents de contrôle, pour prévenir les risques d’incendie et faire de la pédagogie auprès du public, précise la maire de Biriatou.  

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Romain Jeanticou – Télérama – Titre original : «  Au Pays basque, adieu veaux, vaches, moutons ? ».

Source (extrait).