Partition à Science-Po ?

Le poisson pourrit toujours par la tête. » La phrase claque, les visages se figent.

Le Premier ministre, tendu comme un arc, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, la semaine dernière, lorsqu’il s’est invité au conseil d’administration de Sciences-Po après l’incident ayant opposé une étudiante encartée à l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) à d’autres élèves, membres du comité Palestine de l’école.

L’exécutif a sorti les gants de boxe : indignation du chef de l’Etat en plein Conseil des ministres, saisine de la justice pour « des faits à caractère antisémite ». Mais il s’est passé quoi, au fait, ce 12 mars, à Sciences-Po ?

Un amphi est réquisitionné pour un meeting sur la situation à Gaza. On sort les keffiehs, on exhibe ses engagements. L’atmosphère est un rien survoltée, ce qui peut se comprendre. Une étudiante aurait été empêchée d’entrer dans l’amphi parce qu’elle est juive.

Un organisateur aurait dit de ne pas la laisser entrer parce qu’elle est « sioniste ». Cela devient une affaire d’Etat. La jeune femme a finalement pu entrer dans l’amphi et en est ressortie ensuite car elle trouvait l’ambiance « lourde ».

D’autres membres de l’UEJF ont pu assister à la réunion. Etrange journée marquée par des violences verbales d’élèves dénoncées par Corinne Lepage. Son cours est violemment interrompu par des étudiants.

Y a-t-il encore un pilote à Sciences-Po ?

Justement, non.

Car, le jour même, son directeur, Mathias Vicherat, renvoyé en correctionnelle pour une nébuleuse affaire de violences conjugales dans laquelle son ex-compagne est également impliquée, a démissionné.

Depuis sa garde à vue, en décembre, ses jours étaient comptés. Des associations d’élèves et le puissant département de sociologie demandaient sa tête. Pas grand-chose dans le dossier ? Pas grave, il est coupable.

Vicherat est-il l’arroseur arrosé ?

Le copain de promotion de Macron, proche de Delanoê, avec qui il a travaillé à Paris, ancien porte-parole de la SNCF, a fait des violences sexistes et sexuelles (VSS) sa « priorité absolue ».  Il a été nommé en 2021 après avoir axé sa campagne sur ce sujet.
Résultat: sa vie privée pas forcément exemplaire devient un élément central du débat.

« C’est vrai que Vicherat a obtenu son poste grâce à cet engagement sur les VSS, ce qui était nécessaire après l’affaire Olivier Duhamel, qui a traumatisé la maison. Il avait raison sur un plan stratégique, pour obtenir le poste. Mais c’était aussi une posture démagogique, qui l’a finalement fragilisé », reconnaît un enseignant.

Les élèves qui dénoncent une direction « absente et fantomatique » — ils sont un certain nombre — n’ont pas forcément tort. Vicherat n’a affronté aucun des problèmes auxquels est confrontée l’école.

Ce généraliste brillant et touche-à-tout s’est révélé bien meilleur en campagne qu’aux commandes d’un vaisseau de 14 000 élèves très politisé et qui requiert de la fermeté. La sociologue et politologue Anne Muxel, auteure d’« Une jeunesse engagée, enquête sur les étudiants de Sciences-Po, 2002-2022 », a analysé les votes des 18-24 ans à la présidentielle de 2022.

34 % ont voté LFI, et 54 % à Sciences-Po Paris. Stéphane Rozès, qui y enseigne, dénonce « une vague woke ». Ce qui agace Gaspard Gantzer, son collègue : « [Nos] étudiants votent comme la jeunesse étudiante de France ; on n’est pas un temple du wokisme ! Sciences-Po n’est pas Harvard. »

Surtout pas de vagues

Sous la houlette de Mathias Vicherat, la direction a prudemment mis la tête dans le sable.

Quand un étudiant encarté au Printemps républicain signale des propos antisémites, on regarde ailleurs. Et, quand le comité Palestine de Sciences-Po dénonce des heurts avec une militante de l’UEJF, silence radio.

Pas un mot, prudence, pas de vagues, quand une enseignante, contrainte de remplacer les mots « homme » et « femme » dans son cours par « leader » et « follower » (termes pourtant d’un rare sexisme), quitte son poste. Aux éléments les plus excités, ultra-minoritaires, Vicherat ne donne jamais vraiment tort.

Aux « wokistes » les plus mobilisés, il laisse entendre qu’il n’en pense pas moins ; aux ultra-droitiers, il laisse croire qu’il les a compris. Un « en même temps » àla sauce Vicherat qui ne calme pas les esprits.

Il n’a pas davantage trouvé de solutions aux graves problèmes financiers que connaît l’établissement, lourdement endetté par l’achat de son second campus parisien.

Vicherat, qui fut aussi un cadre dirigeant de Danone, laisse à son successeur une institution pédalant allègrement dans le yaourt.


Anne-Sophie Mercier. Le Canard enchaîné. 20/03/2024


Une réflexion sur “Partition à Science-Po ?

  1. tatchou92 26/03/2024 / 22h50

    L’excellence ne serait-elle plus ce qu’elle était ? l’entre-soi est il en perte de vitesse, avec l’arrivée des enfants de prolos, de boursiers ?

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