Les retraités ne sont pas des nantis

En ce 30 septembre 2014 répondant à l’appel d’organisations syndicales et d’associations regroupant les personnes retraitées, a paris comme dans plusieurs villes de l’hexagone « Le mot d’ordre c’est l’augmentation des retraites, qui n’ont pas bougé depuis le 1er avril 2013, s’exclame André Desrichard, secrétaire national de l’association LSR (Loisirs et solidarité retraités). Pour le gouvernement, si vous gagnez 1200 euros par mois, vous êtes un nanti. En dessous, on vous donne 40 euros à la fin de l’année… ».

Comme André Desrichard, de la délégation d’organisations syndicales reçue à la préfecture de Paris-Île-de-France. Des milliers à marcher devant le siège de France Télévisions pour exposer leur colère et crier leur détermination à « vieillir dignement au XXIe siècle ». France Télévisions pour faire enfin la une des journaux et la préfecture parce qu’ils ont déjà tapé aux portes des ministères.

Marisol Touraine, « la ministre des Affaires sociales, vient d’annoncer qu’elle allait rogner sur les retraites en doublant la CSG, explique Jean-Pierre Lalbat, responsable USR-CGT à Paris. Retraités et actifs seront taxés pareil. Soit une perte de 3 % de pouvoir d’achat pour les retraités imposables. Et la déclaration de politique générale du premier ministre a été claire avec le blocage des pensions jusqu’en octobre 2015 et ce « fameux » coup de pouce pour les petites pensions de 0,26 centime par jour: c’est lamentable. »

Un retraité français perçoit en moyenne 1220 euros par mois, 950 euros si c’est une femme. Or les mesures fiscales plombent chaque année un peu plus leur pouvoir d’achat. «Je suis en colère », s’énerve Daniel Fargeas, un ancien quincaillier, militant CGT, en sortant de sa besace une liasse de feuilles. Sur l’une d’entre elles, il a retracé, année après année, l’évolution de ses impôts depuis 2008. À l’époque, il payait 63 euros.

En 2013, sa feuille d’imposition affichait 1480 euros à régler. « Je déclare depuis sept ans les mêmes 22 000 euros de revenus. Mais on m’a retiré d’abord une demi-part que je touchais par enfant. Père divorcé, je les ai pourtant en partie élevés. Puis on a supprimé l’abattement de 10 %. De fil en aiguille, je me suis retrouvé avec 1480 euros d’impôts à payer. »

Avec 1950 euros de revenus mensuels, qui, eux, « n’ont jamais été majorés », Daniel ne se « barre plus en vacances », n’emmène plus au camping ses petits-enfants. Fini le cinéma tous les quinze jours, « les petits plaisirs », et « le jour où je devrai aller en Ehpad, mes mômes raqueront ». Il est bien conscient que les 50 euros qu’il met parfois de côté sur son livret A ne suffiront pas.

« Il faut avoir assez d’argent pour vivre, mais aussi pour pouvoir se divertir, reprend André Desrichard qui organise pour l’association LSR des séjours Bourse solidarité vacances pour les retraités modestes. Aujourd’hui, six retraités sur 10 ne partent jamais en vacances. Il y a quelques jours, j’ai rencontré dans le Nord des veuves de mineurs, certaines avaient des pensions inférieures à 600 euros par mois ! »

« On n’y arrive pas, la coupe est pleine »

Plus loin dans la manifestation, une ex-policière se tient près d’un camion CFE-CGC. Retraitée depuis le mois de mars, cette ancienne fonctionnaire n’est plus tenue par son droit de réserve et manifeste pour la première fois pour les retraites. « On s’appauvrit, ça devient de plus en plus difficile de se loger. Les retraités ne sont plus propriétaires : les couples ne tiennent plus, divorcent. Maintenant que je suis à la retraite, je n’arrive plus à obtenir de prêts bancaires parce que j’ai un fort taux d’endettement. » Désormais, elle recherche désespérément un job pour boucler ses fins de mois. .« On n’y arrive pas, la coupe est pleine : je crains les fins de mois alors que j’ai toujours payé toutes mes factures. »

Sous un drapeau FSU, les anciens enseignants Gérard Lecorre et Danielle confient: « Beaucoup de nos collègues doivent aider financièrement leurs petits-enfants, surtout pour payer leurs études après le bac. Souvent, ils doivent aussi prendre en charge leurs parents et beaux-parents. Avec mes frères nous avons dû vendre la maison de ma mère pour payer sa maison de retraite. » « Je suis furieuse. Absolument furieuse, lance Christine Courtillé, ancienne cadre administratif et financier affichant autocollants, casquette et veste CFE-CGC. Cela fait cinq ans que je suis à la retraite et ma pension stagne, alors que ma CSG et mes impôts augmentent. Je reste au même stade que lorsque j’ai pris ma retraite, mais j’ai de moins en moins d’argent pour vivre alors que j’ai cotisé 42 ans ». Elle se sent aussi solidaire de ces veufs « qui vont devoir payer plus d’impôts ».

A 80 ans, Josette Demagny vient de perdre son mari. « À deux, on gagnait 1700 euros. C’était suffisant pour vivre et payer notre loyer de 560 euros à Trappes, dans les Yvelines, mais on ne faisait pas de folies. Maintenant, je vais toucher la moitié de sa pension, si j’ai de la chance, j’aurai entre 1200 et 1300 par mois. Je vais devoir me priver. Si je déménage de mon appartement dans lequel je vis depuis 33 ans pour un plus petit, je paierai plus cher. »

Que pense-t-elle de la prime de 40 euros promise récemment aux petites pensions?

« Une belle connerie! S’ils me donnaient 240 euros, ça m’arrangerait, mais 40 euros… » A la manifestation rares sont les personnes avouant vivre d’une petite pension. « Les 700-800 euros se planquent, remarque un syndicaliste. On ne les voit pas dans les manifestations, mais plutôt à la fin des marchés quand ils ramassent des produits non détériorés. C’est bien dommage qu’ils ne viennent pas revendiquer car ce sont les plus touchés. »

Henri Le Roux et Kareen Janselme – Huma quotidien du 01 oct 2014