Libres jugements

« Ne partez pas, ça va être fantastique, on va s’éclater comme jamais ! »

Souvenez-vous, c’est peu ou prou ce qu’avait dit Anne Hidalgo il y a quelques semaines aux Parisiens, de plus en plus tentés de fuir la capitale pendant la période de la grande fête olympique. « Et en plus, l’eau de la Seine sera super bonne », avait-elle cru bon d’ajouter, réitérant son engagement, pour le moins audacieux, de faire trempette le jour J dans le cloaque qui traverse la Ville Lumière. Une telle euphorie, signe d’une nature résolument enjouée et enthousiaste, fait plaisir à voir. C’est d’autant plus remarquable que la maire de Paris est à peu près la seule à nous assurer que sa belle cité sera the place to be l’été prochain.

Valérie Pécresse, par exemple, est beaucoup moins optimiste. Elle a d’ores et déjà prévenu que les Parisiens auront intérêt à se mettre à la marche à pied — de toute façon, avec un ticket de métro passé à 4 euros pour la durée des Jeux, la plupart n’auront pas le choix. Les usagers des transports d’Île-de-France devraient connaître quelques « désagréments », avertit la présidente de Région.

Outre les nouvelles lignes-arlésiennes du Grand Paris Express, qui ne seront finalement pas terminées avant 2027, soit trois ans après l’arrivée de la flamme olympique à Paris — mais un an avant l’ouverture des JO de Los Angeles, quand même… — , seront officiellement « impactées » les lignes 5,6,7,8,9,10,12,13 et 14 du métro, Les lignes T3a et T3b du tramway, Les RER B, C et D et les trains N, U, J, L et P. Au programme : trafic sursaturé, stations fermées et jusqu’à un quart d’heure d’attente pour accéder aux quais. Cela, bien sûr, si tout fonctionne au mieux…

Du côté du ministère de l’Intérieur, on n’est pas plus rassurant. À quatre mois du top départ, le niveau « alerte attentat » a déjà été porté à son maximum, signe d’une certaine fébrilité et promesse de filtrages policiers très, très serrés, à base de QR Codes à télécharger et autres sauf-conduits pour pénétrer ou traverser nombre de sites stratégiques. Ce qui n’augure rien de très fluide pour la circulation des bus, secteur des transports sur lequel Valérie Pécresse est restée prudemment évasive…

L’organisation générale ? À part les panneaux de bienvenue dans plusieurs langues dans les gares et les aéroports, pour l’instant, rien n’est prêt. La météo ? Au CNRS, on sort déjà les brumisateurs : « Les Jeux commenceront au moment du « pic climatologique », le 26 juillet. C’est donc le moment de l’année où les vagues de chaleur ont le plus de chance d’être de la plus forte intensité sur la France ».

Voilà donc, à l’heure actuelle, l’état du bilan prévisionnel de la nouba olympique. Et, n’en doutons pas, le meilleur reste à venir. « Personne n’aura encore rien vu de tel ! » se réjouissait encore d’avance Anne Hidalgo dans Le Nouvel Obs, la semaine dernière. C’est bien possible. Et ces JO 2024 pourraient bien agir comme un révélateur, mettant l’humanité entière face à une évidence : l’absurdité d’organiser ce type d’événement superlatif en 2024, dans un monde déjà dévoré par l’urbanisme « mégapolistique », la pollution généralisée, la surpopulation galopante et la surconsommation de tout et n’importe quoi, de surcroît destiné à devenir à court terme une bouilloire climatique, s’il n’explose pas par intervention humaine avant.

En ce début de troisième millénaire, les Jeux olympiques sont une « tradition » aussi aberrante et anachronique que peuvent l’être, à leur niveau, la corrida ou les combats de coqs : une survivance idiote et obscène de coutumes archaïques, en contradiction totale avec la réalité de nos sociétés contemporaines et l’état physique de la planète.

Les cendres envahissantes d’un temps qui n’est plus le nôtre, et qu’il serait judicieux de balayer. S’il est un vrai exploit olympique à accomplir, c’est bien d’éteindre une fois pour toutes cette flamme à la con.

Et tant pis si Anne Hidalgo est déçue.

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Gérard Biard. Charlie Hebdo. 03/04/2024

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