Chancelier chancelant !

Olaf Scholz

Le dirigeant allemand campe fermement sur ses positions, notamment à propos de l’Ukraine et des Russes, mais il en change souvent.

Sur ces images tournées en 1984, le jeune Olaf Scholz est chevelu et souriant. Il a 26 ans, il vient de finir ses études, est avocat spécialisé en droit du travail. Il porte l’uniforme de cette génération d’hommes de gauche, col roulé et pantalon de velours. En face de lui, des hommes gris, membres du Politburo de ce qu’on appelait alors l’Allemagne de l’Est.

La crise des euromissiles bat son plein, les Soviétiques ont installé des SS-20 dans les pays satellites, menaçant l’Ouest.  L’Otan organise la riposte, mais les opinions publiques sont divisées. « Les missiles sont à l’est, les pacifiques à l’ouest », ironise Mitterrand au Bundestag. Scholz est alors un jeune dirigeant socialiste allemand, il n’écoute pas ces vieux crabes, il a rencontré le Politburo de la RDA au nom du pacifisme, valeur qu’il place plus haut que tout, il lève le poing dans la rue, rêve au dépassement du capitalisme, qui arrivera, il en est sûr, et scande, avec ses copains, « plutôt rouges que morts ».

Scholz a-t-il dépassé les expériences fondatrices de sa jeunesse, même s’il n’est désormais ni chevelu ni souriant ? Son nein à Macron, il l’a prononcé avec une véhémence qu’on ne lui connaissait pas. Il l’a fait claquer, son nein. Nein, pas question une seule seconde d’envoyer des troupes en Ukraine, verstanden ? Un drôle de moment qui a pu faire croire que Scholz était un homme à poigne, alors que tous le décrivent comme un monument d’indécision. « L’Allemagne de Scholz ne sait plus où elle va, et c’est un facteur de fragilisation considérable pour nous tous », lâche un eurodéputé écolo. Scholz est comme empêché d’agir, empêtré.

Zeitenwen de bas étage

A Bruxelles, où l’Allemagne est au centre des regards, on ne compte plus les volte-face du chancelier. « On a vécu récemment un épi­sode qui a laissé un souvenir cuisant, s’agace un fonction­naire européen. Un texte avait été négocié par tous sur le devoir de vigilance, qui impose à toute entreprise européenne de ne pas faire travailler les enfants, de ne pas utiliser de produits toxiques, bref de respecter les droits humains, l’environnement et le droit du travail. Scholz s’est abstenu de voter ce texte, qui a finalement été dénaturé, pour une seule et unique raison : les libéraux, membres de sa coalition, étaient contre. Depuis, il fait ça régu­lièrement. Sous Merkel, il était tout simplement impensable que l’Allemagne revienne sur un texte négocié au plus haut niveau. »

Ah, sa coalition… Elle tire à hue et à dia, et Scholz est ballotté. Toute l’Allemagne a assisté, ébahie, au crêpage de chignon entre socialistes, écologistes et libéraux quand il a été question d’imposer des pompes à cha­leur aux Allemands. Trop cher, mal foutu, pas correctement budgété : la bande à Scholz a montré à cette occasion qu’il n’y avait pas de limites à son amateurisme. Et les couacs se sont enchaînés. Nul ne pouvait prédire cette incapacité profonde à prendre des décisions quand il était ministre du Travail et qu’il faisait ava­ler avec une belle énergie à ses vieux camarades syndicalistes les réformes conçues par son idole, Gerhard Schrôder, dont la retraite à 67 ans.

Que veut-il, exactement ? Nul ne le sait. Il y a deux ans, quand la guerre en Ukraine a débuté, il a proclamé au Bundestag le Zeitenwende, le « changement d’époque ». Cent milliards d’eu­ros sur la table pour que Berlin puisse se défendre, peser, devenir adulte. Mais les financements ne seront plus garantis à partir de 2027. Il est à la tête du pays qui aide le plus l’Ukraine, après les Etats-Unis. Mais il se refuse obstinément à livrer à Kiev les fameux missiles Taurus, d’une portée de 500 km. Explication : il faudrait que des ingénieurs allemands aillent sur le terrain former les Ukrainiens, ce qui ferait de l’Allemagne un belligérant de fait.

Cessez-le-flou

Que comprendre ? « Scholz, c’est l’héritage Schrôder, et sa proximité avec les Russes. La classe politique allemande a très largement battu sa coulpe sur ses liens avec Moscou, mais l’opinion publique reste viscéra­lement opposée à toute menace » nucléaire et à tout conflit avec elle. L’aile gauche du SPD serait même d’accord pour négocier avec la Russie un cessez-le-feu. Bref leur laisser le Donbass et la Crimée », rappelle Jean-Louis Bourlanges, le président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée.

« Scholz a connu, avec Schrôder et Merkel, cette époque bénie où le business était florissant avec les Russes, ils leur achetaient leur gaz et leur vendaient des Mercedes. Ils se disaient qu’il n’y aurait jamais de guerre, puisque tout le monde était gagnant. C’est très dif­ficile pour lui de passer dans une autre logique », assure un journaliste allemand qui connaît bien la Chancellerie. Et le Zeitenwende, alors ? « Plus une posture qu’autre chose, une sorte de « il faut que tout change pour que rien ne change » à la sauce allemande. » Pas sûr que Poutine ait lu « Le Guépard ».


Anne-Sophie Mercier. Dessin de Kiro. Le Canard enchaîné. 27/03/202




















2 réflexions sur “Chancelier chancelant !

  1. bernarddominik 05/04/2024 / 9h29

    Contrairement à Macron Scholtz est un homme prudent, il est à la tête d’une majorité hétéroclite il a donc les mains liées, et plutôt que de voir sa majorité éclater il préfère revenir sur un texte négocié. Contrairement à Macron il reconnaît ses erreurs. L’Allemagne est une démocratie, la France une oligarchie, ce sont donc 2 modes de prise de décision différents.

    • tatchou92 05/04/2024 / 22h45

      On est bien loin des relations bilatérales entre Présidents Français et Chanceliers Allemands initiées par le Général de GAULLE et Konrad ADENAUER, François MITTERAND et Helmut KHOL, les Présidents qui ont suivi avec l’inamovible Angela MERKEL, Willy BRANDT l’ancien Maire de Berlin, et Gerhard SCHÖDER..

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