« Jungle » de Calais – de passivité coupable aux harcèlements policiers …

Depuis le démantèlement de la « Jungle », la population d’exilés installée aux alentours de Calais a été divisée par dix. Mais pour les quelque neuf cents qui restent, dont de nombreux mineurs, le quotidien, dans des conditions de vie épouvantables, prend l’allure d’une guerre communautaire. […]

« C’est une sale vie. » Ahma 16 ans, ne dit pas ça pour s’attirer de la compassion ou pour taper la clope qu’on lui offre volontiers. Il ne fait que le constater en haussant les épaules. […] Erythréens échoués à Calais, il a établi son camp, il n’y a que de la boue. Une pelouse sfarécageuse jonchée de morceaux de couvertures trempées, de tentes lacérées, de vêtements abandonnés à la va-vite. « C’est la police, ils ont tout cassé quand ils sont venus. »[…]

Rixe et coups de feu

Ce jeudi 1er février, les affrontements entre migrants ont éclaté à vingt minutes de “Little Forest”. A proximité de l’hôpital de Calais, là où les Erythréens vont récupérer la nourriture distribuée par les associations. Un règlement de comptes de passeurs sur fond de rivalité entre communautés. Au moins un passeur afghan serait impliqué. On ne sait pas exactement si plusieurs d’entre eux se sont affrontés pour un territoire ou bien si l’un a voulu asseoir son autorité sur les autres migrants. Une chose est sûre : plusieurs coups de feu ont été tirés. Cinq Erythréens ont été blessés. Au moment où sont écrites ces lignes, quatre sont entre la vie et la mort.

En réaction, […] … Ils ont ensuite prévenu d’autres migrants africains, installés près de l’ancienne “Jungle”, dans la zone industrielle des Dunes. Plus d’une centaine d’entre eux se sont armés de bâtons et de barres de fer pour aller […] où campent des Afghans qui ont été sérieusement molestés. […]

“Tout le monde a peur des Afghans ici. Ils sont armés. Leurs chefs ont des colts et les autres des couteaux. Nous, on n’a rien”

[…] Ahma a participé à l’expédition punitive chez les Afghans. Il ne s’en cache pas. « Tout le monde y était. On a tous pris des bâtons, explique-t-il simplement. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Ils ont tiré sur nos frères. Tout le monde a peur des Afghans ici. Ils sont armés. Leurs chefs ont des colts et les autres des couteaux. Nous, on n’a rien. » Il jure que ce n’est pas la première fois que les Afghans les menacent de leurs armes. […]

Les associations vs le gouvernement

Arrivé sur les lieux après les incidents qui se sont poursuivis dans plusieurs endroits de la ville jusqu’aux alentours de 20 heures, le ministre de l’Intérieur a directement mis en cause les associations et les distributions de nourriture. « C’est une totale inversion du problème, déplore Gaël Manzi, d’Utopia 56, une association qui vient en aide aux migrants. C’est une honte de nous accuser de ça alors que la police démantèle constamment les campements et laisse les gens à la merci des passeurs. » De fait, accuser les associations d’être responsables de la situation à Calais semble être un contresens.

Les “points de fixation” dénoncés par Gérard Collomb ne s’érigent pas en fonction des distributions, mais à proximité des autoroutes et surtout des parkings, seuls moyens pour atteindre la Grande-Bretagne. Les associations ne font que se caler sur la présence des migrants et viennent distribuer près des camps. « Si on ne donnait pas de nourriture, ils seraient quand même là, dénonce Gaël Manzi. Si on veut faire partir les réfugiés, ce ne sont pas les distributions qu’il faudrait enlever, mais l’Angleterre. Ils sont installés près des parkings parce que c’est là où sont les camions. »

Outre certaines aires d’autoroute qui sont aux mains des passeurs, l’accès aux parkings internationaux à l’intérieur même de Calais est contrôlé par des réseaux plus ou moins violents. D’après les forces de l’ordre, les réseaux historiques sont afghans. Ce sont eux qui tiennent le plus gros parking, le Polley Secured Lorry Park, à Mark-en-Calaisis, surnommé “Sheitan Park” par tous les exilés de Calais. Le parking du diable. Impossible d’y entrer sans l’aval des réseaux afghans qui le contrôlent. Il faut payer des centaines d’euros pour pouvoir y accéder dans l’espoir d’entrer dans un camion. Ceux qui tentent d’y pénétrer sans autorisation sont passés à tabac par les passeurs afghans qui y font régner la terreur. […]

“Au moins, avec la jungle, on pouvait contrôler”

Pour les forces de l’ordre, rien de tout cela n’est très nouveau. […] Bruno Noël, secrétaire régional Hauts-de-France du syndicat de police Alliance, en viendrait presque à regretter l’ancien bidonville. « Au moins, on pouvait contrôler. Ils étaient peut-être dix mille mais on savait où ils étaient. Et puis les gens étaient plus calmes. »

“La faute à qui ?”, rétorquent les associations. Loan Torondel, chargé de mission à l’Auberge des Migrants, « pensai(t) jamais dire ça » mais selon lui, aujourd’hui « c’est pire que la jungle ». « Le harcèlement policier et les conditions de vie déplorables mettent les gens sous pression, il suffit d’un rien pour que tout s’embrase comme jeudi. » […]

« A l’origine, c’est quand même de la misère humaine »

[…] « Ils sont privés de tout ce qui relève de l’hygiène et de la dignité, s’insurge Franck Esnée. La stratégie politique est claire : on deale avec ces gens pour les éloigner : Vous voulez une douche ? OK, mais alors dans les CAO (Centres d’accueil d’orientation) à soixante kilomètres de Calais. » En écho résonne l’étonnant discours de Gérard Collomb au soir des affrontements entre migrants : « Si on veut aller en Grande-Bretagne, ce n’est pas ici. » Pour MdM et les autres associations, l’équation est aussi simple qu’honteuse : « On est aujourd’hui en train d’accepter qu’on fasse pression sur leurs droits fondamentaux pour les orienter. »

[…] … démantèlements quasi quotidiens des camps : etre constamment sur le qui-vive ne peuvant jamais se reposer. A cela s’ajoute la gale due au manque d’hygiène, des problèmes ORL à cause de l’humidité, des blessures à cause des coups des CRS, des brûlures aux yeux à cause des lacrymos. Un chiffre avancé par MdM est effarant. La permanence d’accès au soin de santé reçoit environ trente-cinq consultations par jour. Soit l’équivalent de ce que les médecins traitaient lorsqu’il y avait la “Jungle”. Sauf qu’aujourd’hui il y a entre huit et neuf cents migrants contre près de neuf mille du temps du bidonville.[…]


Pierre Bafoil Les Inrocks – Titre original «  Calais de la jungle à l’enfer » – Source (Extrait  très partiel)


 

2 réflexions sur “« Jungle » de Calais – de passivité coupable aux harcèlements policiers …

  1. tatchou92 10/02/2018 / 19h15

    Cette situation semble être hors de contrôle, on peut s’attendre au pire… l’action devrait d’abord et prioritairement commencer sur place pour permettre à ces malheureuses victimes de rester vivre au pays.
    Recevoir, protéger, soigner, sauver c’est un devoir d’humanité basique certes, mais après ? quelle intégration ? où ? comment financièrement ? douloureuse question pour aujourd’hui et demain..

    • Libre jugement 10/02/2018 / 19h27

      Bien évidemment il est raisonnable de penser que s’ils pouvaient vivre décemment et en sécurité au pays il serait normal de penser qu’ils ne braveraient pas autant de difficultés, de risques divers y compris la mort, le barrage de la langue, etc.
      Mais hélas la colonisation industrielle qui a supplanté l’ancienne colonisation « banania » de triste souvenir, n’est pas prête a concéder quelques subsistes aux autochtones (même s’ils sont leurs salariés ils les surexploitent), ce d’autant qu’ils sont « couverts » par les bakchichs princiers ou gouvernementaux a l’ordre de toutes exploitations.

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