Élections régionales : faites vos enjeux !

Alors qu’une vague bleue, voire Bleu Marine, devrait submerger les régions socialistes, le point sur la situation avant l’échéance de décembre.

Le 6 décembre, la France métropolitaine passera de vingt-deux régions à treize “super-régions”. Alors qu’il y a cinq ans, la carte de l’Hexagone était devenue presque exclusivement socialiste, il s’agira pour le PS cette année de sauver les meubles. Les Républicains (LR), alliés avec l’UDI, surfent sur leur statut de grand favori et tentent de faire oublier leurs divisions internes en vue de la primaire de 2016.

Mais surtout, pour la première fois, le Front national est en tête des sondages dans deux collectivités et va pouvoir installer des conseillers régionaux dans la quasi-totalité des assemblées. Alors que l’abstention s’annonce encore une fois record, tour d’horizon des enjeux, grands et petits, du scrutin.

Où est la gauche ?

Face à l’impopularité du gouvernement et à la montée des extrêmes, l’objectif pour la gauche est clair : sauver les meubles et conserver – au moins – trois régions. Restait à s’entendre sur un obstacle quasi-infranchissable : l’union.

Le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a beau avoir écrit dans une tribune du Monde que “l’unité de la gauche est maintenant acquise”, cela ressemblait davantage à de la méthode Coué qu’à un état de fait. Ni Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), ni le Front de gauche n’ont souhaité faire liste commune avec le PS au premier tour, dénonçant tour à tour la “macronisation de la gauche” ou la “commedia dell’arte” de l’union.

Mais à gauche de la gauche, l’accord est aussi difficile à trouver. EE-LV, en plein psychodrame après le départ de plusieurs de ses cadres, se lance seul dans plusieurs régions, en espérant créer la surprise et surfer sur l’effet COP21. Le Front de gauche, tiraillé par des guerres intestines entre communistes et Parti de gauche, part divisé dans trois régions.

“Les gens n’y comprennent rien”, s’est énervé Jean-Luc Mélenchon au micro de RTL. Reste la délicate question du second tour face au FN : front républicain, fusion des listes ou maintien ? Là, au moins, tout le monde est d’accord : “On verra après le premier tour”, disent tous les partis.

Et si l’Ile-de-France basculait à droite ?

C’est la “Versaillaise” contre le “baron du 9-3”. En Ile-de-France, le duel est ultra-serré entre Valérie Pécresse (LR) et Claude Bartolone (PS), ancien président du conseil général de Seine-Saint-Denis et président de l’Assemblée nationale.

Pécresse, qui s’appuie sur son alliance avec l’UDI et le Modem, fait pour l’instant la course en tête. Mais les scores au second tour risquent d’être très serrés. L’enjeu est crucial pour les deux partis : poumon économique du pays et région la plus peuplée, l’Ile-de-France est la vitrine de leur victoire.

Les deux prétendants très médiatiques ont éclipsé leurs rivaux. Les lancers de boules puantes ont déjà commencé. Début octobre, l’équipe PS s’émeut de la présence de tracts de campagne de Pécresse au sein de la mairie de Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne). Quelques jours plus tard, Valérie Pécresse fait sponsoriser un de ses tweets (ce qui est interdit par le code électoral) pour relayer un extrait tronqué d’une déclaration de Claude Bartolone sur Tariq Ramadan. Plainte en diffamation de Bartolone.

Les deux géants vont probablement devoir faire face à une triangulaire au second tour, le FN mené par  Wallerand de Saint-Just semblant assuré de revenir au conseil régional. Le Front de gauche, emmené par Pierre Laurent, mise quant à lui sur 10%. Pendant que la liste EE-LV emmenée par Emmanuelle Cosse est pour l’instant créditée de 8%.

Le problème COP21

On appelle ça pudiquement “un problème d’agenda”. Les deux tours des élections régionales se déroulent les 6 et 13 décembre. Pile au même moment que la COP21, qui s’étale du 30 novembre au 11 décembre. D’aucuns, comme Julien Bayou, d’EE-LV, se réjouissent de cet “alignement des planètes”.

Mais la coïncidence ne fait pas que des heureux à gauche. Car l’immense conférence pour le climat va accueillir les délégations de 195 pays. Tout autant de convois officiels qui risquent de bloquer les rues de Paris… et le chemin des électeurs vers les urnes. Claude Bartolone et Anne Hidalgo craignent aussi des pics de pollution et plaident pour la gratuité des transports en commun. Mais pour l’instant, silence radio du côté du gouvernement.

La conquête du Nouveau Monde ?

L’appellation fait sourire. “Nouveau Monde – En commun”, c’est le nom de baptême de l’une des seules alliances réussies à la gauche de la gauche, aux régionales de 2015. Dans le rôle du conquistador du Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Gérard Onesta pilotera la liste où EE-LV et le Front de gauche dans son intégralité (Parti de gauche, Parti communiste et Ensemble) ont réussi à s’accorder.

Nouveau Monde tiendra un meeting commun le 12 novembre où Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot s’afficheront ensemble – une première depuis leur brouille après une tribune de Duflot dans Libération intitulée “L’Allemagne n’est pas notre ennemie”,  le 19 mai. La dernière fois, c’était en janvier pour soutenir Syriza.

Cette alliance quasi unique en France (il faut ajouter la région Paca) recueillerait entre 11% et 16% au premier tour. Elle devra faire face à onze autres listes dont celle du FN menée par Louis Aliot. Le numéro 2 du FN est en tête des sondages pour le premier tour avec 27% à 29% des intentions de vote. Ses cibles préférées : les Républicains et le PS.

Le parti de Nicolas Sarkozy a envoyé un petit nouveau, Dominique Reynié (entre 20% et 26%), pour une première bataille qui s’annonce rude. L’ancien politologue a été accusé d’inéligibilité car non inscrit sur la bonne liste électorale et a subi la démission de sa directrice de campagne.

Du côté de la rue de Solférino, l’ancienne secrétaire d’Etat Carole Delga (entre 19% et 22%), favorite pour la victoire au second tour, va devoir lutter avec la dissidence du maire de Montpellier, Philippe Saurel (entre 6% et 11%), disciple de Georges Frêche.

Le Drian, phare breton du gouvernement

La règle est pourtant claire. Ou du moins, elle semble l’être. François Hollande la répète à l’envi : “La règle, je l’ai posée : c’est celle du non-cumul. Jean-Yves Le Drian la connaît parfaitement.” Le président de la République a accepté que son populaire ministre de la Défense engage la bataille des régionales en toute connaissance de cause.

La Bretagne reste l’une des rares régions qu’espère conserver le PS, avec le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées et Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. En cas de victoire, Le Drian quittera-t-il le gouvernement ? Fin octobre, il déclarait, laconique : “Je connais les règles sur le cumul des mandats.” Son entourage précisait à Europe 1 :

“L’hypothèse de son départ est tout à fait réaliste, mais aussi celle de son maintien. On ne peut pas laisser le ministère à quelqu’un d’inexpérimenté dont le cabinet découvrira les dossiers de la Syrie ou de l’Irak.”

Le FN et la menace Marion Maréchal-Le Pen sur la région Paca

Le Front national a engagé plusieurs de ses forces vives pour les régionales. Aliot dans le Sud-Ouest et Philippot à l’Est n’ont quasiment aucune chance de l’emporter au second tour. Les regards se tournent surtout vers la région Paca, où Marion Maréchal-Le Pen défend sa candidature face au maire de Nice, le candidat Les Républicains Christian Estrosi.

La nièce de Marine Le Pen cristallise toutes les craintes du gouvernement. Au ministère de l’Intérieur, chargé de l’organisation matérielle des scrutins, de la préparation et du suivi du droit électoral, on reconnaît “avoir plus peur de céder la région Paca au FN que le Nord”.

Dans le Nord, Marine Le Pen ira défier Xavier Bertrand (LR) et une alliance Parti de gauche/Les Verts dont le PS se serait bien passé. La présidente FN devra aussi faire face à la fronde des grands industriels. Bruno Bonduelle, ancien président du groupe de légumes en conserve qui porte son nom, a écrit une tribune titrée “No Pasarán” dans le mensuel économique régional Eco 121, dans laquelle il met en garde contre “le repli sur soi”.

Même son de cloche du côté de la chambre du commerce et de l’industrie de Lille qui redoute une fermeture des frontières voulue par le parti d’extrême droite, ou du côté de la CGPME (Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises) : son président, François Asselin, avait répété en avril que le programme du FN n’était “pas compatible avec la bonne santé économique de la France”.

Sarkozy/Bayrou : je t’aime, moi non plus

Le temps semble loin où Nicolas Sarkozy (LR) déclarait à propos de François Bayrou (MoDem) :“Il est comme le sida… Quiconque le touche meurt !” Ces propos – rapportés à l’époque par Le Parisien et démentis par la communication de feu l’UMP – ne dataient pourtant que du printemps.

Sept mois plus tard, ces deux chefs de parti qui ont beau se détester et ne jamais s’adresser la parole ont laissé entendre qu’ils pourraient s’allier à l’occasion de cette échéance électorale. C’est ainsi, par exemple, que Yann Wehrling, porte-parole du MoDem, est en troisième position sur la liste parisienne de Valérie Pécresse (LR) en Ile-de-France.

En Aquitaine, Virginie Calmels a laissé au MoDem les têtes de liste départementales dans les Pyrénées-Atlantiques et les Landes. Mais personne n’est dupe. Derrière cette stratégie à court terme du président des Républicains, fleurit l’idée de détruire petit à petit, de l’intérieur, le parti centriste de François Bayrou.

Nicolas Sarkozy n’oublie pas que le maire de Pau avait appelé à voter contre lui en 2012. Enfin, il y a un mois, Bayrou rappelait publiquement qu’il ne voulait pas qu’on “se retrouve dans l’impasse ou devant la triple impasse : Hollande, Sarkozy, Le Pen”. Une “trêve” de très courte durée.

Julien Rebucci, Cerise Sudry-le-Dû – Les Inrocks – Source 1041-couv-les Inrocks