Le pipeau

Ainsi, Gabriel Attal aurait trouvé la solution pour redonner le goût des sciences aux filles : nommer Ève Gilles, Miss France 2024, « ambassadrice des mathématiques ». D’un coup de baguette magique, nous voilà à des années-lumière des défilés en maillot de bain.

Il est vrai que Miss France est étudiante en deuxième année de licence de mathématiques et informatique appliquées aux sciences humaines et sociales (MIASHS). Et c’est une tradition chez ces emblèmes de la grâce hexagonale : pour montrer qu’elles ne sont pas qu’un corps, elles doivent porter une cause.

Pour Indira Ampiot, Miss France 2023, c’était la « lutte contre le cancer », et pour Diane Leyre, Miss France 2022, le « vivre-ensemble »… Au début, Ève Gilles disait vouloir « défendre l’image de la femme » et prouver que celle-ci « peut faire ce qu’elle veut, quand elle veut ». Alors, les maths, très bonne idée.

La sous-représentation féminine dans ce domaine est indéniable, à cause de stéréotypes de genre ancrés depuis l’enfance, qui conduisent la majorité des filles à se détourner des maths. Il n’y a que 22 % de femmes parmi les enseignants-chercheurs en maths, et la situation ne va pas en s’arrangeant : depuis la réforme du lycée instaurée en 2019, le nombre de filles qui suivent six heures de maths par semaine en terminale a chuté de 61 %.

On peut s’attendre à pire encore avec les fameux groupes de niveau (même si on les appelle autrement), qui risquent d’engluer davantage les élèves en difficulté. Il faut donc être vraiment naïf pour imaginer qu’une Miss France étudiante en maths donnera le goût de cette discipline aux jeunes filles.

En tout cas, Angela Sutan, chercheuse en sciences du comportement à l’université Bourgogne-Franche-Comté, n’y croit pas un seul instant. Déjà parce qu’il y a eu des précédents. Notamment Muguette Fabris, élue Miss France 1963 alors qu’elle était diplômée de maths (elle enseignera ensuite cette discipline).

Bien d’autres candidates à ce prestigieux titre ont suivi des études scientifiques, et Angela Sutan souligne que « ni en 1962, ni depuis, leur présence sur les podiums n’a eu un effet […] incitant les jeunes filles à faire des études scientifiques (1) ».

Quant à l’impact bénéfique de la notoriété dans un domaine pour en valoriser un autre totalement différent (même s’il lui est associé pour diverses raisons), on peut en douter à cause de ce que les chercheurs en psychologie appellent l’« effet de dilution » : si l’on est performant dans deux disciplines à la fois, on est perçu comme moins performant dans chacune d’elles.

Cela fait dire à Angela Sutan qu’« il ne sert à rien de mélanger deux compétences. Si une fille a la fibre mathématique, il y a peu de chances que Miss France lui fasse de l’effet ». Inversement, si une adolescente rêve de devenir reine de beauté, il est peu probable qu’elle se passionne soudainement pour les équations, au motif qu’une de ses idoles est fortiche en maths.

Pour Angela Sutan, « c’est comme si, en plus de faire des maths, il faudrait être également jolie. À propos de Cédric Villani, on ne dit pas qu’il est mathématicien, et en plus Mister Univers. Alors qu’il y a plein de modèles scientifiques féminins que l’on pourrait montrer aux filles ». Il serait donc préférable de valoriser des femmes mathématiciennes pour leur œuvre et non pour l’immuabilité de leur sourire ou la longueur de leurs jambes (et il n’en manque pas, telles Sophie Germain ou Émilie du Châtelet, qui ont d’ailleurs donné leur nom à quelques établissements scolaires).

S’il veut vraiment inciter les lycéennes à faire des maths, Gabriel Attal ferait mieux de s’inspirer d’un pays qu’on ne s’attendrait pas à trouver à l’avant-garde dans ce domaine : la Côte d’Ivoire.

Il y existe un concours baptisé Miss Mathématiques, réservé aux filles et uniquement basé sur les maths. Le seul point commun avec les Miss France, c’est que la lauréate reçoit aussi une couronne.

Mais elle reçoit surtout de l’argent pour faire ses études. Voilà qui est bien plus intelligent que de multiplier les symboles à la con ou, pire, les réformes contre-productives qui dégoûtent encore plus les filles (mais aussi les garçons) des sciences.


Antonio Fischetti. Charlie Hebdo. 27/03/2024


1. tinyurl.com/2aabun92


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