Bercy a le déficit schizophrénique

Les déficits publics et la dette explosent ; Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, appelle à « reprendre la maîtrise [du] système, devenu incontrôlable », de l’Etat providence. Faute de quoi, prévient-il, c’est la fin du modèle social français.

Un constat tout sauf original, même si Le Maire, depuis sept ans à Bercy, a mis un certain temps à l’établir. Depuis vingt ans, tout le monde est d’accord pour dire, en fronçant les sourcils, que ça ne peut plus durer. Une bonne demi-douzaine de plans d’économies ont été établis. Avec — au mieux — des résultats microscopiques, pendant que les gouvernements qui les avaient mis en place d’une main laissaient, de l’autre, les robinets de la dépense grands ouverts.

Cette étonnante schizophrénie a porté la dette publique de 1 050 milliards et 62 % du PIB fin 2003 à 3 000 milliards et 110 % du PIB, selon les chiffres révélés le 26 mars par l’Insee.

Voici quelques épisodes marquants de cette histoire sans fin.

Décembre 2005. Premier coup de cymbales. Michel Pébereau, ex-patron de la BNP, propose dans un rapport de « rompre avec la facilité de la dette publique ». Depuis l’élection de François Mitterrand, celle-ci a été multipliée par cinq pour couvrir non pas des investissements, mais des dépenses courantes. Enthousiasmé, le Premier ministre Villepin lance, dans la foulée, un plan pour ramener la dette à 60 % d’ici à 2011. Cette année-là, elle s’élèvera à 88 % (+ 600 milliards en six ans)!

Juillet 2007. Fraîchement élu, Nicolas Sarkozy demande à un quarteron de cabinets de conseil privés de passer au peigne fin les dépenses des ministères. C’est la « révision générale des politiques publiques » (RGPP) qui fera partir 250 000 fonctionnaires avec, à la clé, une bonne douzaine de milliards d’économies.

Selon un rapport (juin 2023) de la commission des Finances de l’Assemblée, la RGPP est l’« un des seuls programmes de transformation de l’action publique ayant permis de réaliser des économies substantielles ». Pas suffisantes, toutefois : sous Sarkozy, la dette — bien aidée par la crise financière — gonfle de 650 milliards, pour atteindre 90 % du PIB.

Juillet 2012. A chaque président son plan de réduction des dépenses. A peine arrivé à l’Elysée, François Hollande lance la « modernisation de l’action publique » (MAP), prônant des « mesures structurelles pour redresser les comptes ». Le but ? D’ici à la fin du quinquennat, en 2017, 50 milliards de dépenses en moins. Las ! selon la Cour des comptes, ce sont exactement 571 misérables millions qui auront été économisés. La dette, en revanche, a sournoisement grossi de 400 milliards.

Février 2017. Coucou, revoilà Pébereau ! Et un nouveau rapport préconisant de réaliser d’urgence des économies. Sans rire ? Manifestement, son premier opus, en 2005, n’a pas eu l’effet escompté : la dette, qui, onze ans plus tôt, représentait 67 % du PIB, vient de franchir le seuil symbolique des 100 %, soit 162 milliards de plus. Nul n’est prophète en son pays !

Juillet 2017. A croire que Pébereau a été entendu sous Macron. Le Premier ministre Edouard Philippe lance le « comité d’action publique 2022 » (CAP 22), qui souligne la « nécessité d’éviter les dépenses publiques inutiles ». Bien vu ! Mais, en 2018, la crise des gilets jaunes douche toute volonté de transformation trop audacieuse.

Le CAP 22 devait réduire la part des dépenses publiques dans le PIB de 3 points entre 2017 et 2022. Pas de bol : elle a augmenté de 1,8 point. Et la dette, durant le quinquennat, s’est accrue (hors crises énergétique et sanitaire) de 420 milliards.

Une bonne leçon pour Le Maire : s’il entend enfin maîtriser la dette, qu’il ne promette surtout pas de nouveau plan d’économies !


Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 27/03/2024


Une réflexion sur “Bercy a le déficit schizophrénique

  1. bernarddominik 29/03/2024 / 14h40

    Il y a un discours « il faut réduire la dette », et une réalité. Les présidents promettent à tout le monde, mais Bercy ne peut pas faire de miracle, alors l’état emprunte. À cela se rajoutent les guéguerres de ces messieurs, Libye pour Sarkozy, Mali pour Holande et Macron, Ukraine pour Macron, or ces chiffres sont « secret défense », donc on paye, mais où part l’argent seule Jupiter le sait.
    Sarkozy avait profité de la crise bancaire de 2008 pour faire des opérations de transfert pour masquer le coût réel de sa politique (prêts forcés aux banques : je te prête sur 8 mois et pour ça j’emprunte sur 7 ans). Pour moi une évidence : le budget de l’État n’est pas sincère, il ne traduit pas la réalité des dépenses publiques. Macron bat finalement Sarkozy comme président le plus dépensier depuis 1871.

Rappel : Vos commentaires doivent être identifiables. Sinon ils vont dans les indésirables. MC