Pénurie de médocs

Extraordinaire percée : la France va produire du… paracétamol.

Il y a quelques jours, micros, caméras et cravates se bousculaient lors de l’inauguration de la plateforme chimique de Roussillon, en Isère.

La production ne commencera qu’en 2025 ? Ce paracétamol contiendra un ingrédient chinois ? Seqens, l’entreprise productrice, est détenue par un fonds d’investissement américain ? Pas grave, la souveraineté sanitaire est de retour (1) !

Bien sûr, cela a été possible grâce à une aide du brave État, qui a mis sur la table un tiers des 100 millions d’euros nécessaires. Bon, une trentaine de millions, ce n’est rien. Surtout que, comme le souligne Thierry Hulot – le président du Leem, le lobby des entreprises du médicament -, si notre pays voulait maîtriser les 200 à 300 molécules nécessaires à notre survie, il faudrait plutôt compter en dizaine de milliards.

Car, loin de reculer, les pénuries de médicaments ne cessent de s’aggraver au pays de Pasteur. Il y aurait eu ainsi 3 000 ruptures de stock, ou de ruptures évitées de justesse, en 2022. La France et l’Europe dépendent en effet à 80 % de la Chine et de l’Inde pour la production des principes actifs qui composent nos petites pilules multicolores. Certes, cette situation est en partie la conséquence de la logique financière de gestion de la Sécu, qui a conduit à faire du médicament le principal levier de réduction des dépenses de santé, avec le développement des génériques, ce qui a privé les labos, monstres capitalistes de la pire espèce, de revenus importants, d’où des délocalisations par paquets de douze.

L’Europe dépend à 80 0/0 de la Chine et de l’Inde pour la production des principes actifs

Cela dit, il y a une croyance qui a conduit au désastre actuel, celle des bienfaits du commerce international.

En 1817, David Ricardo publie ses Principes de l’économie politique et de l’impôt, dans lesquels il expose sa théorie des avantages comparatifs, à partir de l’exemple de l’Angleterre et du Portugal. La démonstration de Ricardo est le plus grand tour de force de l’histoire de la pensée économique, car il s’impose un point de départ qui semble condamner tout échange : dans son exemple, le Portugal est plus productif que l’Angleterre dans les deux secteurs choisis, la production de vin et celle de drap.

David Ricardo suppose que les salaires sont les mêmes dans les deux pays. Si le Portugal est plus productif; ses coûts de production sont plus bas, tout comme ses prix de vente. Qu’est-ce que l’Angleterre peut alors bien lui vendre en échange ? Rien, puisque tout ce qui sort de ses usines est plus cher. Le génie de Ricardo sera de montrer que, même dans ce cas très défavorable, les deux pays ont intérêt à échanger, le Portugal se spécialisant dans le vin – et ne produisant donc que cela -, et l’Angleterre, dans la confection de drap.

Plus fort encore : grâce à l’échange, les quantités consommées dans les deux pays sont plus importantes qu’avant le commerce international, pour la même quantité de travail. Le commerce permet de consommer plus sans travailler plus, c’est la corne d’abondance !

Dans ce cas, comme le dit David, « l’échange lie entre elles toutes les nations du monde civilisé par les noeuds communs de l’intérêt, par des relations amicales, et en fait une seule et grande société ». Grâce aux échanges, il suffit aux Anglais de produire seulement du drap, qu’ils exportent, pour obtenir du vin, qu’ils importent. Et, en plus, ils ont plus de vin, et du meilleur, puisqu’il est portugais.

Ici a lieu un saut conceptuel majeur : l’échange remplace la production. C’est ce grand

remplacement de la primauté de la production par l’échange, qui plus est à l’échelle mondiale, qui est à l’origine de la pénurie de médicaments – et, plus grave, de moutarde. Une dramatique erreur intellectuelle, que n’ont pas faite, ou moins que nous, les États-Unis, sans parler de la Chine. 1. « Relocaliser les médicaments : un pas en avant, trois pas en arrière » ( Les Échos, ler février 2023).


Jacques Littauer. Charlie hebdo. 08/02/2023


2 réflexions sur “Pénurie de médocs

  1. W 10/02/2023 / 15h53

    Excellent article de Jacques Littauer, comme d’habitude … !

    • Libres jugements 11/02/2023 / 9h00

      Bonjour et merci pour ce commentaire
      Amitiés
      Michel

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