C’est fou, l’État marche sur la tête

Les lobbyistes avaient déjà leurs entrées pour la rédaction des lois futures, ça n’était pas assez pour l’État, il fait appel à des cabinets privés pour rédiger de nouveaux textes de loi. Certes leurs propositions a été refusée par le conseil d’État mais il en reste pas moins que la dérive de privatisation dans le système libéral atteint un point très inquiétant. MC

Un article paru dans l’hebdomadaire « Marianne » signé par Étienne Girard, titre original : « Quand le gouvernement paie un cabinet privé pour rédiger sa loi… flinguée par le Conseil d’État » – source (extraits), est interpellant.

Difficile, a priori, de se passionner pour une histoire d’étude d’impact de loi d’orientation sur les transports, qui mêle jargon administratif et technicité juridique. Préciser que les parties prenantes sont la direction des infrastructures du ministère de la Transition écologique, un cabinet d’avocats anglo-saxon et le Conseil d’Etat, n’aide pas à soulever davantage les passions. Et pourtant, la pièce jouée entre ces trois acteurs tout au long de l’année 2018 constitue l’un des ratés les plus spectaculaires de l’esprit start-up nation, encouragé par Emmanuel Macron depuis sa prise de pouvoir. Ou comment la conviction de la supériorité du secteur privé peut aboutir… à un gâchis d’argent public.

Quelque 42.000 € en l’occurrence, pour un projet de loi finalement étrillé avec virulence par le Conseil d’État, autorité administrative suprême du pays. Cette tragi-comédie relate aussi le tout petit monde parisien dans lequel évoluent certains ministres, hauts fonctionnaires et avocats. Au point qu’on retrouve parmi les protagonistes de cet imbroglio inédit… Dorothée Griveaux, qui n’est ni plus ni moins que la sœur du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.

Tout commence en janvier 2018.

Le gouvernement d’Édouard Philippe décide de lancer un appel d’offres pour sous-traiter à une entreprise l’exposé des motifs ainsi que l’étude d’impact de sa future loi sur les transports, moyennant 30.000 euros hors taxes. Dans le langage alambiqué de la haute administration française, cela signifie que l’argumentaire du gouvernement sur cette loi va être délégué à une société privée.

Du jamais-vu.

Émoi dans les rangs de l’opposition parlementaire, où on voit l’initiative comme une manière de se défausser de la mission principale du gouvernement. « Confier l’exposé des motifs d’une loi à une personne privée, c’est inadmissible. S’il y a un acte politique et qui doit être assumé comme tel, c’est celui-là », grince auprès de Marianne le sénateur Jean-Pierre Sueur, auteur d’un rapport sur la qualité des études d’impact, en février 2018.

Au-delà du renoncement politique, cet étrange auto-dessaisissement pose des questions sur la gestion des deniers publics. N’existait-il pas de solution interne à la fonction publique pour rédiger l’exposé des motifs et l’étude d’impact ? Le ministère de l’Ecologie compte 57.000 fonctionnaires, dont de nombreux énarques. L’usage est de les faire travailler, en s’appuyant si besoin sur des hauts fonctionnaires d’autres administrations momentanément mis à disposition et surtout, sur le secrétariat général du gouvernement, composé des meilleurs juristes de la fonction publique. […]

« Dorothée Griveaux, une petite star »

Le cabinet Dentons, dans son ensemble, est loin d’être spécialisé dans le droit public. Sur les quelque 129 avocats que compte son bureau de Paris, seuls trois exercent dans cette spécialité, comme nous l’indique la direction de la communication du cabinet : « Nous sommes trois en droit public, c’est vraiment peu ». Parmi ces trois avocats, Marc Fornacciari, par ailleurs directeur de l’ensemble du bureau de Paris, est en revanche un professionnel reconnu du droit des transports. Énarque, ancien membre du Conseil d’État, il fait partie des dix ténors français de la spécialité, selon le site « Legal 500 ». La ministre Élisabeth Borne a déjà eu affaire à lui, puisqu’il est également le conseil du groupement Keolis/RATP Développement, cette dernière entreprise étant une filiale à 100% de la RATP, dirigée jusqu’en 2017 par… Borne Élisabeth.

Le nom de sa principale collaboratrice en droit public est lui aussi connu des plus hautes instances de l’État. Il s’agit de Dorothée Griveaux… sœur du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. Interrogé, le cabinet Dentons convient que Dorothée Griveaux a « donné un coup de main » sur l’étude d’impact, mais « moins de quinze heures ». De là à faire un lien avec l’obtention du marché ? […]

Quelle plus-value le ministère pouvait-il espérer en ayant recours à cette prestation, essentiellement rédigée par un juriste sans doute talentueux mais pas plus expérimenté qu’un énarque de la fonction publique ? Surtout que Dentons a confié la partie technique de l’étude d’impact – justifiant, selon le cabinet Borne, le recours à un prestataire extérieur du ministère – à la société d’ingénierie Setec International. Au final, la prestation a été facturée 15.000 euros par Dentons et 27.600 euros par Setec, soit 42.600 euros TTC. Ce gâchis d’argent public n’a pas ému le Conseil d’État.

En revanche, son résultat, si : le 15 novembre, l’autorité administrative suprême, qui vérifie notamment la conformité des projets de loi à la Constitution, étrille l’étude d’impact réalisée sur la base des travaux de Dentons et Setec ! « L’étude d’impact (…) ne satisfait pas, en ce qui concerne ces dispositions, aux exigences posées par la loi organique du 15 avril 2009. Non seulement elle ne présente ni le dispositif retenu ni les objectifs qu’il poursuit, mais, en outre, elle met en avant, pour le justifier, un constat erroné », écrivent les juges administratifs, qui pointent des « lacunes », des « incohérences » et des « insuffisances » multiples. Tout ça pour ça. […]

Plus d’un an après l’appel d’offres, le projet de loi n’a toujours pas été discuté devant le Parlement. Plusieurs fois repoussé, le texte est désormais prévu pour la mi-mars 2019, après le grand débat national. Preuve que le temps ne pressait pas tant que ça.

Mesdames, Messieurs, les élu-e-s, cessez vos arrangements, cessez de flouer vos électeurs.

2 réflexions sur “C’est fou, l’État marche sur la tête

  1. jjbey 14/02/2019 / 15h53

    Quand il s’agit de s’organiser pour nous piquer du pognon les coquins sont présents. Demain c’est l’administration tout entière qui est visée, on supprimera des fonctionnaire pour faire appel à des « conseils » qui factureront au prix fort les mêmes inepties que celle qui vient d’être rejetée par la Conseil d’Etat. Quand on vous dit qu’il faut privatiser……………………….

    • Libres jugements 14/02/2019 / 15h57

      Merci Jean-Jacques de ta visite.
      Je te vois bien actuellement dans ta chaise longue, au soleil marocain, a consulté ton ordinateur sur les nouvelles françaises et te dire que finalement rien ne change avant de plonger dans une sieste bienheureuse.
      Avec toute mon amitié
      Michel

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