L’ Histoire sous influense politique ou religieuse.

L’histoire n’étant que science interprétative, elle peut donner lieu à mille lectures. Et celles qui prévalent aujourd’hui ne participent pas toutes d’une véritable démarche historienne. D’où la nécessaire vigilance face à l’instrumentalisation politique de l’histoire.

Retour à l’histoire.

Toute notre société est à nouveau prise de passion pour l’histoire. L’histoire  ne s’est pas arrêtée. De la disparition de l’URSS n’est pas né un monde pacifié, déroulant dans un horizon globalisé un consensus autour de la démocratie libérale. Exit Fukuyama.

Le présent a pris des voies surprenantes pour ceux qui se seraient laissé bercer par de telles pensées, dessinant de nouvelles lignes d’affrontement entre les Etats comme entre les groupes sociaux.

Retour des révolutions. Qui aurait alors pensé que les refus de l’oppression allaient s’exprimer avec la puissance que nous leur connaissons depuis une dizaine d’années, des luttes des peuples de l’Amérique latine aux révolutions en cours des pays arabes? Que les conflits du travail exacerbés par la crise ramèneraient aussi vite sur le devant de la scène les grandes questions formulées par Marx ?

Qui aurait pu dire que l’histoire serait saisie à nouveau par le présent et sommée de contribuer à sa compréhension?

La réalité est là. L’histoire est partout.

À nouveau grande passion du présent. Grand enjeu politique du présent. Les médias grand public se l’arrachent. Les revues se multiplient, les grands groupes investissent : le Figaro a créé un « Figaro histoire »; le groupe de presse Mondadori a lancé un nouveau magazine, « Guerres et histoire ».

Les chaînes de radio et de télévision ne sont pas en reste: de très médiatiques journalistes battent des records d’audience en parlant d’histoire. Le cinéma, la bande dessinée, le roman sont saisis eux aussi par l’urgence de l’histoire.

Mais de quelle histoire s’agit-il ?

On connaît les heurts et malheurs de l’histoire dans l’arène publique. Histoire qui sert, histoire serve, disait en substance le grand historien Lucien Febvre aux lendemains de la Première Guerre.

La France a vu ces dernières années se multiplier les instrumentalisations de l’histoire à des fins d’exaltation nationale. On se souvient de 2005 et de l’appel présidentiel à l’enseignement des « aspects positifs de la colonisation ». On se souvient de la tentative de rendre obligatoire la lecture de la lettre de Guy Môquet en oubliant son engagement politique. On se souvient des affrontements tout récents autour de la Maison de l’histoire de France.

Les belles revues sur papier glacé promènent à travers le temps, emmenant d’un grand homme à un autre, d’un scandale de l’histoire à un autre. Le dernier numéro du « Figaro histoire » entend rendre justice aux « Romanov, les tsars maudits, 1613-2013 » à l’occasion du « quatrième centenaire de l’avènement de Michel Romanov ». Bien sûr il fallait y penser! Mais ces promenades dans leur faux bric-à-brac ne sont pas erratiques.

Quand dans « l’Ombre d’un doute », France 3 fait du journaliste Franck Ferrand un historien, il ne s’agit pas seulement de provoquer l’émotion, de chercher le succès en supposant la désinformation pour mieux valoriser les révélations de l’émission! Il s’agit, certes, d’une histoire chargée de sang, ce qu’assume l’auteur qui publie à partir de ses émissions radiophoniques « Du sang sur l’histoire ». ll s’agit aussi d’une histoire qui produit du sens et renouvelle dans l’urgence la rengaine de tous les conservatismes apeurés: les peuples insoumis sont les buveurs de sang.

Niant les travaux des chercheurs, tronquant les propos des historiens qu’elle sollicite, cette histoire marche à coups de raccourcis saisissants qui instillent la peur des révolutions. Ainsi peut-elle faire de « Robespierre, le bourreau de la Vendée (?) ». Les protestations des historiens sont de peu de poids face à cette machine médiatique et elles n’ont pas plus empêché France 3 de reprogrammer, en février 2013, une aussi efficace production qu’elles n’ont entravé la promotion de Lorant Deutsch et de son « Métronome », réhabilitation des têtes couronnées et des valeurs de temps heureux ignorant la démocratie!

Bien sûr, ce n’est pas de cette histoire dont nous avons besoin. Celle dont nous avons besoin est complexe. Complexe au sens où elle rend compte de la densité du feuilletage social qu’est une société humaine. Elle rend compte de ses nœuds multiples, de ses multiples rapports de forces, de ce qui émerge, de ce qui meurt, dans les processus de domination, dans les luttes émancipatrices, dans les gestes du quotidien comme dans les grandes productions symboliques.

Plus que jamais, dans les journaux, les revues, les livres, les sites, faisons nous aussi de l’histoire.

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Anne Jollet, historienne, responsable de la rédaction des « cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique »

 

(1) Le dernier numéro de la revue des « Cahiers d’histoire », consacré aux « Homosexualités européennes (XlXe-XXe siècle) », peut être commandé sur le site suivant: http://chrhc.revues.org/