Brexit or not brexit !

La revendication du référendum sur la sortie de du Royaume-Uni de l’union européenne d’initiative populaire a tenu compte de l’histoire des expériences particulières de ce mode de consultation, puisque la source de l’initiative a longtemps brouillé le caractère démocratique du mode d’expression directe.

Apparemment rien ne paraît plus simple qu’un référendum : répondre à la question posée, forcément simple pour qu’elle ne soit pas critiquée. Le biais plébiscitaire correspondait donc à demander l’approbation du questionneur qui avait eu l’initiative de la question et le choix de son opportunité. La critique s’en est longtemps tenue là. Elle n’était pas complètement juste mais surtout elle supposait des électeurs plus simples qu’ils ne sont.

Contre toute apparence, ce n’était pas un choix binaire qu’offrait le référendum anglais : répondre « oui » ou « non » à la question ou au questionneur, mais une gamme bien plus large de réponses, pas forcément directement liées à la question explicitement posée. Le référendum sur le Brexit est à cet égard exemplaire du hiatus entre la simplicité des procédures et la complexité des conduites.

Est-il excessif d’avancer que la victoire du leave doive moins aux jugements sur l’Europe que sur l’immigration — dont l’Europe a été jugée responsable, même si elle ne l’est pas ? Les cartes électorales contrastées le confirment, de même que les slogans scandés pendant la campagne, puis les explications immédiates après le vote, sans parler des langues déliées par le résultat, exprimant une xénophobie désinhibée. Il faudrait encore évoquer tout ce qui n’est pas dans un vote et devrait y être pour sa clarté. Leave or Remain, cela est conforme à une question de référendum mais cela ne dit pas grand-chose. En tout cas pas tout, et probablement pas tout ce qui serait nécessaire.

On sait depuis longtemps la diversité des électorats qu’il revient à l’élection de rassembler. Ces gens ne sont pas d’accord sur tout parce que c’est une règle du jeu masquée par sa simplicité caricaturale. Bien des électeurs ne voteraient plus pareil s’ils savaient qui est leur voisin de vote. Il arrive fréquemment que l’on se détermine par opposition à des candidats certes, mais aussi à des voisins ou à des amis.

Sur le référendum britannique, la difficulté est plus spécifique car il est bien entendu qu’un divorce (l’image a été largement employée) ne se joue pas que sur un mot. Il y a bien des choses à régler dans le partage des biens et la définition des relations futures. Or le moins qu’on puisse dire est que le choix leave ou remain n’a pas réglé ces « détails ». C’est le point où le régime représentatif a fait valoir ses droits. Dès qu’il s’est agi de négocier, le mandat n’était pas inscrit dans le résultat du référendum et les parlementaires pouvaient « exister ».

Il peut être très désagréable d’être confrontés à ces questions d’ingénierie politique. Depuis l’Antiquité grecque, elles reviennent inlassablement. Il est assurément stimulant intellectuellement de retrouver de vieux paradoxes comme celui qui voudrait, en bonne logique, qu’il ne puisse exister de hiatus entre le vote pour un candidat au Parlement et le vote référendaire.

Après tout, n’est-il pas évident que les électeurs votent pour des candidats qui votent comme eux ? Et pour tous les amateurs d’ingénierie politique, il reste désespérant d’en affronter la complexité. On connait les réponses habituelles : la simplification à outrance qui suppose de balayer d’un revers de volonté toute réflexion, la facilité qui consiste à l’ignorer. La promotion du référendum d’initiative populaire n’a pourtant pas semblé s’intéresser au référendum britannique. Comme s’il s’agissait d’une autre question ou d’un autre continent.

Outre l’expérience d’une rupture d’association inédite entre États, le Brexit aura pourtant le mérite d’apporter une autre expérience institutionnelle de la vieille question démocratique. Le seul ennui, en matière d’expérience politique, est qu’elles ne se déroulent pas in vitro dans les laboratoires. Et qu’elles peuvent mal tourner.


Alain Garrigou. Le blog du Monde Diplomatique. Titre original : « le peuple anglais ». Source (extrait)