Depuis la loi anti-terro…

… la liberté d’opinion prend des gnons

Est-tl encore permis de débattre du conflit israélo-palestinien sans prendre le risque d’être envoyé devant des juges ? Mardi 30 avril, en pleine campagne électorale, Mathilde Panot s’est retrouvée convoquée par les flics. Une présidente de groupe à l’Assemblée devant répondre d’« apologie du terrorisme », ce n’est pas banal.

Dans le viseur des autorités, son communiqué de presse après l’at­taque du Hamas du 7 octobre : « L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Nous déplorons les morts israéliens et palestiniens. »

Sort identique pour Rima Hassan, can­didate franco-palestinienne LFI aux élections européennes, épinglée pour des tweets postés à la fin de 2023. Quelque 300 autres quidams — dont des syndicalistes — ont fait l’objet d’un signalement auprès des procureurs.

Le 18 avril, le leader de la CGT de Lille était condamné à un an de prison avec sursis pour un tract fustigeant, entre autres, la « politique d’apar­theid concentrationnaire » israélienne. Comment la justice est-elle ainsi devenue une arme politique susceptible de limiter la liberté d’expression?

Djihad médiatique

2014, tuerie au Musée juif de Bruxelles. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, présente un nouveau projet de loi antiterroriste aux parlementaires, visant à mieux lutter contre la propagande et le « djihad médiatique ». L’idée du gouvernement est simple : sortir les délits de provocation et d’apologie du terrorisme de la loi de 1881 sur la presse et la liberté d’expression.

Car, à l’heure des réseaux sociaux, cette loi prévoit des règles de procédure qui ne cadrent pas avec la nouvelle urgence antiterroriste. Grâce à la loi Caze­neuve, l’« apologie » — sorte de glorification du terrorisme ou du terroriste — pourra même être jugée en comparution immédiate ! Et les poulets auront le droit d’utiliser les techniques « spéciales », comme la sonorisation des bagnoles ou les interceptions de conversation.

A l’Assemblée, en 2014, la disposition passe sans grand débat. Seule la députée Verte Isabelle Attard s’interroge : « Il y a fort à craindre que l’on n’assiste à un détricotage de la loi de 1881, qui est une loi majeure de la République. En démocratie, le pouvoir considérable d’un gouvernement doit être contrebalancé par la garantie des libertés individuelles. De grâce, ne créez pas un nouveau délit d’opinion… »

Le 17 septembre 2014, dans l’hémicycle, Bernard Cazeneuve répète que « la protection de la presse et la liberté d’expression et d’in­formation ne sont en aucun cas altérées par ces nouvelles dispositions ». L’amendement des Verts est rejeté, la réforme adoptée… Même le syndicat majoritaire des magistrats, l’USM, approuve.

Surviennent les attentats terroristes de 2015. Dans une circulaire, Christiane Taubi­ra, la ministre de la Justice, demande aux procureurs de se montrer fermes sur la ques­tion du djihad médiatique. Les statistiques explosent ! Alors avait eu que 14 condamnations pour apologie du terrorisme, 385 peines sont prononcées en 2015 et 421 en 2016. Les juges cognent !

Le moindre aineux ou soûlard éructant : « Vive Daech ! » est déféré en comparution immédiate et condamné. En 2019, les stats se calment, avec 171 condamnations. Depuis, c’est le trou noir, la Chancellerie rechignant à fournir ses données.

Abus de plaintes

Depuis l’attaque du 7 octobre 2023, le délit d’apologie du terrorisme est réutilisé à tout-va. Il devient l’outil d’« instrumentalisation politique d’un contexte de la part du pouvoir en place et de certains partis politiques », s’agace même Bernard Cazeneuve, son créateur, auprès du « Canard ». Le Pôle national de lutte contre la haine en ligne a été saisi, depuis octobre, de 390 plaintes en lien avec le conflit Israël-Hamas.

Dès le 10 octobre, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a donné consigne de poursuivre y compris des « propos vantant les attaques en les présentant comme une légitime résistance à Israël ». Champions des signalements judiciaires : le ministère de l’Intérieur, les préfets et les parlementaires. Sans oublier les associations de lutte contre l’antisémitisme, qui, pour certain ont déposé une plainte par jour pendant un mois.

« La justice dira ce qu’elle a à dire sur ces questions », a martelé le ministre de la Justice. Et les politiques n’ont-ils rien à dire, aujourd’hui, sur cette inflation des poursuites qui, au lieu de terroriser les terroristes, menace le légitime débat démocratique ?


Marine Babonneau. Le Canard enchaîné. 30/04/2024


Une réflexion sur “Depuis la loi anti-terro…

  1. bernarddominik 08/05/2024 / 8h24

    Effectivement sur certains sujets il n’y a plus de débat démocratique et avec Fabius à la tête du conseil constitutionnel les lois liberticides ne sont plus censurées

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