Tout comprendre aux nouveaux OGM

Enquête…

La législation européenne encadrant les « nouveaux OGM » pourrait être assouplie, au grand bonheur de l’agro-industrie. Voici cinq points pour tout comprendre à ces techniques de modification du vivant.

« Les nouveaux OGM doivent être strictement étiquetés et réglementés ! » s’alarment 420 000 Européens dans une pétition lancée par Agir pour l’environnement. Les ONG qui l’ont lancée entendaient ainsi peser sur le projet de loi de la Commission européenne sur les nouvelles techniques de manipulation du génome des plantes, originellement prévu pour juin 2023. L’Europe se dirige-t-elle vers une dérégulation de ces organismes génétiquement modifiés issus du génie génétique ? Vont-ils s’inviter dans nos assiettes à notre insu ?

Maïs MON810, blé HB4… La mise sur le marché des organismes génétiquement modifiés est actuellement encadrée par la directive 2001-18 datant de 2001. Selon l’industrie semencière, cette réglementation est obsolète, tant les techniques ont évolué. La concurrence des États-Unis ou de la Chine sur le marché des semences ainsi que le changement climatique imposent aussi une révision de la législation, assurent les adeptes de ces nouvelles techniques. La nouvelle réglementation européenne pourrait ainsi assouplir les mesures d’évaluation des risques de ces variétés, et abandonner les exigences d’étiquetage et de traçabilité.

Reporterre fait le point sur ces nouveaux OGM et vous explique pourquoi ils suscitent le vif intérêt de l’agro-industrie. Un article signé Violaine Colmet-Daâge. Reporterre. Source (bien que cet article soit en lecture libre, l’assos Reporterre à besoin de vos dons, merci pour elle.) https://reporterre.net/Nouveaux-OGM-en-Europe-cinq-points-pour-comprendre

1- Les nouveaux OGM, c’est quoi ?

« La sélection variétale se pratique depuis la nuit des temps », dit la directrice de l’Union française des semenciers, Rachel Blumel. Les paysans ont toujours sélectionné les semences issues de leurs meilleures plantes. Celles-ci avaient acquis, par de simples mutations aléatoires, des caractères leur permettant de résister aux contraintes environnementales. « C’est aujourd’hui encore ce que font les sélectionneurs », assure Mme Blumel. À ceci près qu’au lieu d’attendre qu’une mutation offrant à la plante un meilleur rendement ou qu’une résistance à un pesticide apparaisse naturellement, les sélectionneurs des grandes firmes utilisent le génie génétique.

Pour adapter les plantes, il existe trois types de technologies : le transfert de gènes d’un organisme à une plante, l’amélioration des plantes par mutagenèse aléatoire ou l’édition génomique. La première technique produit les OGM classiques, qui ont suscité une contestation mondiale dans les années 1990-2000.

La seconde revient à exposer les plantes à des agents favorisant les mutations, comme les rayons gamma. Car plus les mutations sont nombreuses, meilleures sont les chances qu’un caractère intéressant apparaisse. Le sélectionneur n’a alors plus qu’à repérer le plant intéressant.

La troisième technique, la plus récente, est appelée l’édition du génome. Là, les mutations ne sont plus provoquées au hasard : une séquence d’ARN-guide et des « ciseaux moléculaires » sont introduits dans le génome de la plante.

Objectif : couper et modifier de manière ciblée une séquence d’ADN précise, un gène que le chercheur souhaite modifier. Une fois débarrassée des ciseaux moléculaires, la plante est « éditée », comme si les scientifiques avaient réécrit son « livre génétique ».

Cette prouesse technologique a été permise par la mise au point récente de la technique Crispr-Cas9. En 2020, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Étasunienne Jennifer Doudna ont même remporté le prix Nobel de chimie pour cette découverte.

2 — Pourquoi l’agro-industrie en raffole-t-elle ?

Résistance à la chaleur, au manque d’eau ou aux parasites… Les caractères — promis par l’agrochimie — des plantes transformées grâce aux ciseaux moléculaires sont particulièrement séduisants dans un monde en proie au réchauffement climatique. Le Crispr-Cas9 suscite donc un vif intérêt chez les agro-industriels : aux États-Unis ou en Chine, les laboratoires planchent sur de nouvelles variétés culturales. Le secteur semencier européen entend bien leur emboîter le pas.

« Des brevets sont déposés. Nous devons également les utiliser. Ne refaisons pas la même erreur qu’avec les OGM », plaide le vice-président de l’Interprofession des semences et plants, Pierre Pagès. « Mais pour pousser la science dans cette direction, il faut que nous puissions bénéficier d’un cadre réglementaire stable, qui nous assure que nous pourrons commercialiser nos variétés », insiste Rachel Blumel, de l’Union française des semenciers. Reste que, pour l’heure, aucune de ces plantes promises pour résister à la chaleur ou au manque d’eau n’a atteint la commercialisation dans les pays où ils sont pourtant autorisés.

3 — Quelle stratégie l’agro-industrie utilise-t-elle pour les imposer ?

Pendant longtemps, « l’industrie semencière a tenté de faire passer les NBT [new breeding techniques, nouvelles techniques de sélection] entre les mailles du filet », observe l’avocat spécialiste en droit de l’environnement, Guillaume Tumerelle. Concrètement, elle espérait que ces techniques ne soient pas considérées comme des OGM. Échec : en 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé que les variétés issues de l’édition génomique étaient des OGM et devaient donc faire preuve de leur innocuité, comme stipulé par la directive 2001-18, avant d’être mises sur le marché.

Coup dur pour l’industrie, qui juge l’évaluation des risques trop coûteuse et presse la Commission européenne de revoir sa copie. « Mais on n’a aucune idée des effets que peuvent avoir ces plantes transformées une fois diffusées dans l’environnement. Il est logique que l’on fasse une évaluation préalable du risque. Le principe de précaution est inscrit dans les traités européens », relève Guillaume Tumerelle.

4 — Quelles craintes suscitent ces OGM ?

Sans recul suffisant, difficile d’identifier les potentiels effets délétères des nouveaux OGM, et c’est bien le problème de ce qui ressemble à des techniques d’apprentis sorciers. Même l’une des inventrices des ciseaux moléculaires, Jennifer Doudna, s’inquiète qu’ils puissent servir à la création d’un virus mortel pour l’humain ou soit utilisé à des fins d’eugénisme ! Dès 2016, la CIA s’inquiétait, elle, du risque bioterroriste associé au Crispr-Cas9, qui pourrait aboutir à « des agents chimiques et des changements génétiques héréditaires chez l’homme ».

L’année suivante, des scientifiques alertaient sur ses possibles effets néfastes sur la biodiversité. Un exemple ? Rendre stériles les moustiques responsables du paludisme semble une idée prometteuse… Mais « que pourrions-nous faire pour arrêter une réaction en chaîne dans la nature, si on se rendait compte qu’il y avait des effets négatifs », s’interroge Hervé Chneiweiss à la tête du comité d’éthique de l’Inserm, sollicité par La Tribune.

Enfin, les OGM sont « associés à des pratiques destructrices de la biodiversité en raison du développement de variétés soit tolérantes aux herbicides soit très standardisées », a souligné Cédric Villani, lors d’une audition parlementaire consacrée à ces nouvelles techniques en 2021. D’ailleurs, un effet ricochet a déjà été prouvé : selon une étude, des variétés de tournesol résistantes aux herbicides cultivées en France ont entraîné une utilisation accrue des pesticides et une baisse de la diversité des plantes sauvages dans les champs.

Les nouvelles techniques d’édition du génome ne sont « clairement pas la priorité, estime Jérome Enjalbert, chercheur à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Le modèle économique derrière les NBT et les OGM est de l’intensification en recherche et en capital, avec une demande forte de retour sur investissement. Le risque est de concentrer encore davantage les recherches sur les espèces dominantes et d’augmenter leur présence sur le territoire. C’est de l’homogénéisation du paysage ».

5 — L’édition du génome est-elle la solution face au changement climatique ?

« Les NBT nous promettent des solutions là où la sélection conventionnelle les apporte depuis des décennies », tranche Jérôme Enjalbert. Et y répondent même plus largement.

Car le long travail de sélection est gage de qualité. « Les variétés dont nous disposons aujourd’hui sont le fruit de millénaires de sélection traditionnelle puis conventionnelle. Tout OGM, ou toute variété éditée, est assis sur une variété issue de la sélection conventionnelle et est le résultat d’une histoire de sélection : elle a été travaillée pendant six à sept ans par un sélectionneur. Puis pendant deux ans sur de larges réseaux d’essais au champ. C’est une garantie que la variété va tenir. » Les nouveaux OGM, eux, sont le fruit de travaux de laboratoire, et ne bénéficient pour l’instant d’aucun recul suffisant pour assurer leur réel intérêt.

Enfin, pour rendre les cultures résilientes, il faut les diversifier et non les standardiser… Alors que les grandes firmes réclament ces nouveaux outils pour développer quelques variétés dopées sur certaines caractéristiques, Jérôme Enjalbert plaide plutôt pour une diversité de sélectionneurs. Ces derniers développeraient chez de plus nombreuses espèces des variétés adaptées aux terroirs et aux nouvelles pratiques agroécologiques.

De nombreuses autres questions restent en suspens : comment assurer aux agriculteurs bio la pérennité de leurs filières alors que la dissémination est difficilement contrôlable une fois implantée dans les champs ? Quelle réflexion éthique est menée autour de cette approche du vivant ? En France, jusqu’à fin 2021, le Haut Conseil des biotechnologies planchait sur la question des nouveaux OGM. Le débat a été si vif que certains membres ont claqué la porte de l’institution, provoquant sa dissolution.


La seconde partie de cette enquête est à lire ici.


2 réflexions sur “Tout comprendre aux nouveaux OGM

  1. tatchou92 08/02/2024 / 17h25

    On est bien loin de la France agricole des campagnes de nos grands-parents… pas de quoi nous rassurer pour l’avenir de nos petits enfants.

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