Solidarité nationale…

Il suffit parfois d’une phrase lâchée à la tribune de l’Assemblée nationale pour bouleverser des projets et modifier le cours d’une existence.

Dominique (60 ans), au chômage depuis bientôt trois ans, a accueilli l’annonce de la prochaine disparition de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) comme un coup à l’estomac. « Cela a été un vrai choc, raconte-t-elle. S’ils suppriment l’ASS, je bascule au RSA en mars. Et pour moi, c’est une catastrophe. »

En théorie, elle devait commencer à percevoir l’ASS en mars, ce qui lui aurait permis de valider les quatre trimestres dont elle a besoin pour pouvoir prendre sa retraite à taux plein. « Je suis née en juin 1963, explique-t-elle. Ce qui veut dire qu’avec la dernière réforme des retraites, je dois cotiser 170 trimestres. L’ASS devait me permettre de faire la jonction, mais si je bascule au RSA, je ne cotiserai pas. »

Pour justifier la disparition de l’ASS, Gabriel Attal a prévenu : « Nous considérons que la retraite doit toujours rester le fruit du travail. » Une phrase dont la gravité péremptoire sonne joliment dans le silence d’un hémicycle. Mais en pratique, comment récolter « le fruit » de son travail lorsque personne ne veut vous embaucher ?

Dominique joue le jeu. Tous les mois, elle envoie une vingtaine de candidatures spontanées. Sans résultat. « Je travaillais pour une association culturelle, dans un métier de niche lié à l’accompagnement des artistes, rappelle-t-elle. Quand j’ai perdu mon poste, ma conseillère Pôle emploi a été très claire : » Ce n’est pas nous qui allons vous aider à retrouver du boulot.

Si Dominique ne décroche pas un emploi, elle n’aura plus que deux alternatives : vivoter du RSA jusqu’à la retraite ou racheter ses trimestres manquants. « Cela me coûterait 20 000 euros, calcule-t-elle. J’avais cette somme de côté, mais pas pour ça ! »

Dominique a la chance d’être propriétaire – un appartement acheté à Boulogne-Billancourt il y a quarante ans, à l’époque où les usines Renault tournaient encore et où les classes moyennes pouvaient se loger. Une éternité.

Ce confort très relatif ne suffit pas à la rassurer : difficile, avec un RSA, de payer les charges de copropriété, la mutuelle, sans compter les frais de santé et les dons qu’elle fait aux Restos du cœur.

Si la situation s’éternise, elle devra tailler dans ses dépenses. « Les dons aux associations, c’est la dernière chose que je rognerai, dit-elle sans ciller.

Vous avez remarqué ? Le mot solidarité a disparu du vocabulaire d’Emmanuel Macron. » Pas du sien.


Cyprien Boganda. Source (extraits)

« Sans l’ASS, je n’aurais pas repris mes études »

Sabrina Erin Gin, 36 ans, juriste…

Si l’allocation de solidarité spécifique concerne de nombreux chômeurs de longue durée approchant de l’âge de la retraite, elle peut aussi être une béquille indispensable à d’autres moments de la vie.

Sabrina Erin Gin en a ainsi bénéficié à 28 ans, après « dix années de petits contrats, de boulots précaires comme femme de ménage, caissière, vendeuse, entrecoupées de périodes de chômage », à la suite de son bac, obtenu en 2005. « Le plus que j’ai touché en dix ans, c’est 1 200 euros sur un mois », ajoute-t-elle.

Alors, en 2015, elle décide de commencer des études de droit et se pose la question de leur financement. « Je viens d’un milieu ouvrier, mes parents auraient pu m’aider un tout petit peu mais cela aurait été compliqué. Heureusement, Pôle emploi accepte de me donner un statut de » stagiaire de la formation continue « pour continuer à toucher les allocations-chômage. » Soit, les aides au retour à l’emploi (ARE), avec 800 euros par mois pendant un an, puis l’ASS (650 euros mensuels) pendant quatre ans, jusqu’à l’obtention de son master II en droit pénal.

« La façon dont mes études se sont déroulées devrait être la norme »

« Sans l’ASS, je n’aurais pas continué mes études, je n’aurais jamais tenu. Il fallait bien continuer à payer le loyer et les courses. Bien sûr, l’autre option était de travailler à côté. Je l’ai fait un trimestre, en troisième année, mes notes ont chuté de plusieurs points, ces heures de boulot en plus ont eu un grand impact sur mes études. »

Sabrina Erin Gin reconnaît que, sur les bancs de sa faculté de droit à Marseille, la plupart des autres étudiants n’avaient pas cette « chance » de bénéficier d’aides de l’État pour vivre pendant leurs études. « Beaucoup d’étudiantes que je côtoyais ont réussi à avoir leur diplôme tout en bossant le soir et tous les week-ends, mais à quel prix ? »


Florent Le Du. Source (Extraits)


5 réflexions sur “Solidarité nationale…

  1. Ancre Nomade 05/02/2024 / 18h32

    Et toujours rendre responsables les travailleurs des excès du capitalisme !

  2. raannemari 05/02/2024 / 18h49

    Pour nos gouvernements, le mot « solidarité » est devenu un gros mot.

  3. tatchou92 05/02/2024 / 19h04

    -Voilà un des funestes effets de la politique actuelle, un manque flagrant de solidarité inqualifiable …
    – voir aussi pour ceux qui ont suivi les changements relatifs à la retraite… les « avantages bonifications enfants »…par exemple, dans la logique de ceux qui les ont fait fiscaliser..il y a plus de 20 ans (la date m’échappe) alors que c’était une initiative originale datant de la Libération pour permettre d’améliorer les retraites des mamans qui cessent le travail pôur élever les enfants jusqu’à l’entrée de l’école… il n’y avait et il n’y a toujours pas de crêches partout..

  4. bernarddominik 05/02/2024 / 20h18

    Les finances de la France sont catastrophiques. Au lieu de supprimer les dépenses inutiles (et il y en a), au lieu de taxer les surprofits, imposer et taxer les dividendes comme les autres revenus, au lieu de réintégrer dans les bénéfices des gafa les licences, le gouvernement fait des économies sur les pauvres et précaires. Honteux. Lamentable.

  5. raannemari 06/02/2024 / 19h46

    « Il paraît que la crise rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je ne vois pas en quoi c’est une crise. Depuis que je suis petit, c’est comme ça. » Coluche

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