Biden et Trump blacklistés

Trop vieux, trop blancs : la jeunesse américaine ne se reconnaît dans aucun des deux candidats, et la communauté noire pas davantage. Au point qu’elle risque de s’abstenir.


« Courage, force, détermination. » Ces mots, inscrits sur une banderole déroulée sur la façade d’un bâtiment, s’affichent fièrement au côté du visage d’un homme aux cheveux courts, les sourcils froncés. Il s’agit de Medgar Evers, un militant afro-américain dont l’engagement contre la ségrégation au Mississippi pendant le mouvement des droits civiques lui a valu d’être assassiné, en 1963, d’une balle dans le dos, devant son domicile.

Aujourd’hui, son portrait contemple de son regard de fer le campus de l’université de Brooklyn qui porte son nom. Fondé en 1970 sous la pression d’activistes noirs qui voulaient que leur communauté soit représentée dans l’enseignement supérieur, Medgar Evers College (MEC) n’est pas un établissement comme les autres.

Membre du réseau d’universités publiques de New York, c’est ce qu’on appelle une PBI (Predominantly Black Institution), un statut accordé aux structures qui accueillent une proportion importante de Noirs et de jeunes issus de milieux modestes. À l’image du quartier où se dressent les bâtiments universitaires, dans le centre populaire et métissé de Brooklyn avec ses petits commerces d’immigrés et ses églises, sa population étudiante est composée d’Afro-Américains, d’Haïtiens et d’autres Caribéens ainsi que d’enfants d’Africains.

« La communauté fait vivre l’université et l’université fait vivre la communauté en donnant aux jeunes des possibilités, une famille, des protections », explique Junior Elias Andrews, le jeune président des première année. Lui est originaire de Trinité-et-Tobago, comme le trahissent ses boucles d’oreilles aux couleurs et à la forme de l’île. Fin mars, il tenait un stand dans les couloirs de l’université.

Sa mission : convaincre ses camarades de s’inscrire sur les listes électorales pour voter en novembre, aux élections présidentielles et législatives. Élevé dans une famille très militante où « voter est une obligation », Junior est convaincu de l’importance de faire entendre sa voix dans les urnes, mais ce n’est pas le cas de beaucoup de jeunes rencontrés à Medgar Evers College.

Pour certains, la présidentielle sera leur premier scrutin. Et l’affiche proposée — deux hommes blancsâgés, 77 ans pour Donald Trump, 81 ans pour Joe Biden — ne les emballe guère : ici, la question n’est pas pour qui voter, mais plutôt s’il faut se rendre aux urnes ou non.

Emmanuel Turay, un Américain d’origine africaine de 18 ans, fait partie de ceux qui s’interrogent : « On a du mal à comprendre ce que Biden dit quand il parle. On décroche », lance-t-il. Alors que son grand-père est résolument démocrate, lui n’est pas convaincu. « Tant que ma communauté n’est pas affectée, je me fiche de qui dirige le pays. » […]

Certes, New York, contrée solidement démocrate, n’est pas un swing state, l’un de ces territoires aux résultats serrés qui déterminent l’issue de l’élection présidentielle, scrutin qui se joue État par État outre-Atlantique.

Mais le manque d’enthousiasme de la jeunesse croisée à Medgar Evers College est un mauvais signe pour Joe Biden, qui avait profité, lors de son accession à la Maison-Blanche, en 2020, de l’énergie créée par le mouvement antiraciste Black Lives Matter, né en 2013, et qui a gagné en importance après le meurtre de George Floyd par un policier à Minneapolis, le 25 mai 2020.

D’après Circle, un centre de recherche de l’université Tufts (Massachusetts), 87% des jeunes Noirs (18-29 ans) ayant voté à l’époque ont soutenu l’ancien vice-président face à son adversaire républicain. Quatre ans plus tard, le sentiment d’urgence n’est plus au rendez-vous. Pis, d’après certains sondages Donald Trump progresserait par rapport à 2020 au sein de la communauté noire dans son ensemble. […]

Pour la jeunesse, l’appui des États-Unis à Israël complique la donne. En effet, les nouvelles générations d’Américains, plus diverses et sensibles aux questions de justice raciale que leurs aînées, voient l’État hébreu comme un oppresseur. « Dans cette génération multiculturelle, les idées progressistes sont largement partagées, peu importe l’identité raciale. Gaza est vraiment au centre des préoccupations de cette jeunesse, reprend Tristan Cabello. C’est elle qui s’est mobilisée en zozo, avec Black Lives Mater. Il se pourrait qu’elle se mobilise aussi, autrement, pour Gaza : en s’abstenant, en ne votant ni pour Trump ni pour Biden ». […]

Militante de longue date de la cause noire, Brenda Greene dirige le Centre pour la littérature noire de MEC. Elle se dit « très nerveuse » àl’approche de l’élection présidentielle de novembre. En cas de retour au pouvoir du « numéro 45 », comme elle surnomme Trump, le quarante-cinquième président, elle craint une remise en question de la démocratie et des droits des minorités. « Nous devons faire comprendre ce qui est enjeu. Ceux qui ne votent pas, en réalité, font un choix lourd de conséquences. »

Il n’y a pas que le manque d’enthousiasme de la jeunesse qui l’alarme, mais aussi celui de certains collègues enseignants, qui envisagent également de s’abstenir. Selon elle, le problème est plus profond que l’impopularité des deux candidats. « Beaucoup de gens ont choisi de ne plus suivre les informations. Ils ne veulent pas se préoccuper des choses qui les mettent mal à l’aise et des questions difficiles, regrette-t-elle. Par rapport à 2020, il y a beaucoup plus d’apathie ». […]


Alexis Buisson. Télérama (Extraits). N° 3876. 24/04/2024


2 réflexions sur “Biden et Trump blacklistés

  1. Pat 30/04/2024 / 19h42

    Ouf ! Nous, on a un jeune et beau président ! …J’oublie quelque chose ?…De toutes façons, on ne peut pas avoir toutes les qualités. Et puis, eux, ils on eu M Obama… j’attends de voir Mohamed élu en France…

  2. tatchou92 30/04/2024 / 22h53

    Ces Présidents se sont succédés dans notre pays depuis la Libération : Les premiers étaient élus par les grands électeurs, (dont Messieurs les Présidents Vincent AURIOL et René COTY.
    – Puis la Constitution a prévu l’élection par le suffrage universel et le fameux article 16 de la Loi donnant des pouvoirs exceptionnels au Président de la République :
    – le Premier étant LE GENERAL DE GAULLE, qui a démissionné suite à l’échec de « son référendum », (1958-1969)
    -remplacé par le Président POMPIDOU élu en 1969, décédé en 1974 en cours de mandat, les 2 intérims ayant été assurés par Monsieur Alain POHER, Président du Sénat, (il avait été candidat en 1974)
    – puis Monsieur le Président François MITTERAND1981-1995 (2 mandats de 7 ans)
    -Monsieur le Président Jacques CHIRAC (2 mandats 7 et 5 ans suite à la réforme),
    – Monsieur le Président Nicolas SARKOZY (un mandat),non représenté,
    – Monsieur le Président François HOLLANDE (1 mandat), non représenté,
    – Monsieur le Président Emmanuel MACRON (2ème mandat en cours) la loi ne lui permet pas d’en briguer un 3ème).

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