France – Cette éducation scolaire, inégalitaire

L’ascenseur social est cassé.

Alors, comment se porte la méritocratie républicaine ?


Un bijou d’étude, tout juste paru, nous le dit (1). La mobilité sociale, c’est le fait de ne pas occuper la même place dans la société que ses parents.

  • Vos parents étaient médecins et vous devenez président de la République ? Mobilité sociale ascendante.
  • Vos parents étaient agriculteurs et vous devenez chômeuse ? Mobilité sociale descendante.

Dans cette étude, les auteurs raisonnent en termes monétaires. La population est divisée en cinq parts démographiques égales, des 20 % les plus pauvres aux 20 % les plus riches. Ils observent les enfants nés entre 1972 et 1981.

Par exemple : que sont devenus, une fois arrivés à l’âge adulte, les bambins issus des 20 % de familles les moins aisées ? Moins de 10 % d’entre eux se retrouvent parmi les 20 % des ménages les plus aisés. Donc, oui, la mobilité sociale ascendante est une réalité. Mais elle est minuscule : l’ascenseur social est cassé.

Parmi les pays riches, le nôtre est l’un des plus sclérosés, et donc l’un des plus inefficaces, puisque de jeunes gens brillants n’arrivent pas à grimper l’échelle, tandis que des nullos restent accrochés en haut, merci papa, merci maman.

Le seul point pour lequel la Gaule est première, c’est en effet la part d’enfants issus d’une famille riche qui parviennent à le rester : 38 %, contre « seulement » 35 % en Suède et au Danemark, ou 33 % en Espagne.

C’est en Espagne, en Suède et au Danemark que les filles et fils de femmes de ménage ont le plus de chances de devenir trader. Seul un autre pays est aussi aristocratique que la France, ce sont bien sûr les États-Unis, où les chances des enfants pauvres de devenir professeur d’université sont plus faibles que partout ailleurs dans le monde libre.

Chose amusante, la France et les États-Unis partagent la même explication de cette sclérose sociale : les difficultés d’accès à l’enseignement supérieur.

  • Ben, elle est pas gratuite, la fac, en France ?
  • Ben non, il y a des frais d’inscription, un ordi à acheter, des livres, et comment vivre pendant ses études, hein ?
  • Et puis, des universités, il n’y en a pas partout sur le territoire.
  • Et puis il faut se repérer dans le maquis des formations offertes.
  • Et puis il faut oser s’autoriser à vouloir faire des « études longues », quand on vient d’un milieu où les adultes n’ont pas le bac, un gars nommé Pierre Bourdieu a écrit deux ou trois tweets sur le sujet.
  • Et comment réussir ses études quand on bosse vingt heures par semaine ?
  • Résultat : « les enfants de familles défavorisées ont 2,5 fois moins de chances d’obtenir un diplôme supérieur que ceux des familles très favorisées(2) », c’est écrit.

Xavier Jaravel, sacré meilleur économiste de France du monde par le journal du même nom en 2021 et professeur à la London School of Economics, est encore plus explicite.

Pour lui, si la France est moins productive par heure travaillée que l’Allemagne ou les États-Unis (ouille !), c’est « à cause de [nos] piètres performances éducatives (3) ». Attention, ça cartonne : « Même sur la formation de ses meilleurs élèves, la France est doublée par des pays comme Singapour ou les États-Unis (3) »

Pour Xavier, face à son « retard éducatif ahurissant », notre beau pays «ne se fixe aucun objectif suffisamment ambitieux », à l’inverse de l’Allemagne et du Portugal, qui, parce qu’ils en ont fait une priorité nationale, ont progressé dans les classements internationaux. Il vient de sortir son premier livre, intitulé Marie Curie habite dans le Morbihan (éd. Seuil). Il a intérêt à être bon, et à être lu, sinon nous sommes morts, les amis.


Gilles Raveaud. Charlie hebdo. 08/11/2023


  1. « La mobilité intergénérationnelle de revenus en France : une analyse comparative et géographique » (Institut des politiques publiques, octobre 2023).
  2. « L’ascenseur social fonctionne moins bien en France qu’ailleurs » (Les Échos, 30 octobre 2023).
  3. « Si la France est moins productive que l’Allemagne, c’est à cause de ses piètres performances éducatives » (Les Échos, 30 octobre 2023).

2 réflexions sur “France – Cette éducation scolaire, inégalitaire

  1. Bernard 10/11/2023 / 9h19

    Notre système éducatif est loin d’être égalitaire. Si vous n’en avez pas les moyens vos enfants ne pourront suivre des études supérieures. En revanche il est plus facile d’aller à l’université pour un fils de femme de ménage car il aura une bourse, qu’à un petit employé qui devra trouver un bon millier d’euros par mois s’il habite loin d’une université. Quant aux grandes écoles elles sont réservées au gratin car le prix d’entrée est très élevé, une dizaine de milliers d’euros au minimum. Mais il y a aussi le problème de la qualité de l’enseignement due à des programmes conçus par des philosophes et loins de la réalité d’aujourd’hui. De plus la complexité de notre langue où l’écrit correspond peu à l’oral prend beaucoup de temps aux jeunes, temps perdu pour le reste.

    • Libres jugements 10/11/2023 / 10h23

      Dans les possibilités de suivre des études, il ne faut pas oublier Bernard, les gros problèmes rencontrés par les ruraux.
      J’en veux prendre pour exemple l’une de mes petites filles – L’ainée de trois autres enfants au foyer – habitant le sud Ardèche, suivant cursus rare — un des très rares lycées départementaux dispensant une formation reconnue très performantes, sur les médias audiovisuels — qui dans deux ans exigera pour terminer sa formation à choisir le déracinement vers Grenoble, Montpellier, Bordeaux ou la région parisienne. Oui bien sûr, il y a des bourses et peut-être que la famille pourra en bénéficier, mais tout le reste, transport, logement, nourriture, habillement, équipements scolaires nécessaires, sont à charge des familles.
      Oui certainement, elle pourra trouver un petit job chez McDo ou autre pour subvenir un peu à ses besoins, mais cela une grève rare nécessairement, voire dangereusement le temps consacré à la formation.
      Michel

Rappel : Vos commentaires doivent être identifiables. Sinon ils vont dans les indésirables. MC