C’est l’histoire d’un patron…

… Daniel Kretinsky, qui, selon le magazine « Forbes », pèse plus de 9 milliards d’euros.

Il a une île aux Maldives, deux yachts, un château et un siège social français, installé en face de l’Élysée. S’il regarde par la fenêtre, il n’en dit rien, car il est discret et bien élevé. Il est courtois, mince et musclé, carbure au thé vert, a une calculatrice dans la tête. Il en faut une pour s’y retrouver dans ses emplettes, depuis quelques années : Fnac Darty, 45 % du géant allemand Metro, Casino, des journaux, des clubs de foot, des maisons d’édition prestigieuses, et, comme il n’est pas ennemi des énergies fossiles, il possède aussi des centrales à charbon, des gazoducs, etc.

Eh oui, Daniel Kretinsky est un gars simple qui prend la vie comme elle vient. Un jour d’avril 2017, il se promène sur les Champs-Elysées. L’air est frais, la lumière douce. « Je sortais du George V. Je marchais vers l’Arc de triomphe, heureux, léger, tant j’aime mes séjours à Paris, et je me suis dit : « Tiens, si j’achetais un journal en France ? » » a-t-il confié à « Vanity Fair ». Oui, hein, pourquoi pas ?

« C’est un peu le problème de Kretinsky : il a tellement de succès qu’il a tendance maintenant à en faire un peu trop. En 2017, il ne débarquait pas à Paris, il rôdait déjà depuis au moins un an autour de plusieurs fleurons de l’économie française ! » s’amuse un industriel qui le connaît bien. En fait-il trop dans le style amoureux de la France, de la démocratie, du pluralisme et du bon bourgogne ?

Le Petit Chose de l’Est

Quand il prête 14 millions à « Libé », à bout de souffle, lui qui lit « Le Figaro », c’est pour « soutenir la démocratie européenne et lutter contre le populisme ». Peut-on vouloir défendre le pluralisme et se jeter sur tout ce qui bouge ? Car, si Bouygues n’avait pas sorti le – gros ­chèque, M6 serait également tombé dans son escarcelle.

Le populisme ? Il l’exècre en Europe de l’Ouest et le soutient à l’Est. Son grand pote Mirek Topolanek, Premier ministre tchèque de 2006 à 2009, fut animateur d’une émission à tonalité homophobe et climatosceptique diffusée sur un site qui lui appartenait. Il cite Piaf Molière, les Lumières, joue les Petit Chose de l’Europe de l’Est, flatte habilement la vieille nation décrépite qui s’accroche à son passé glorieux. « Daniel sait très bien qu’il y a de très belles affaires à faire en France, où pas mal de groupes sont à la dérive. Il vient, attend, et, grâce aux liens qu’il a noués avec la banque Rothschild, tous les dossiers viennent à lui », explique un banquier.

Sauf que, cette fois-ci, voilà le fin juriste pris dans la tourmente de l’affaire Atos, en pleine déliquescence. Le géant informatique devrait être scindé en deux entités, Tech Foundation (maintenance des infrastructures) et Eviden, qui regroupe le cloud, la cyber -sécurité et, surtout, les supercalculateurs, essentiels à la dissuasion nucléaire française. Kretinsky met la main sur la première et devient le plus important actionnaire de la seconde. Et, là, c’est la bonne affaire de trop.

Dans une tribune (« Le Figaro », 3/8), 82 parlementaires crient au scandale, dénonçant la vente d’éléments essentiels à la force de frappe à un étranger. Cette fois-ci, son amitié avec Richard Ferrand, qui cultive ses réseaux parlementaires, n’aura pas permis d’éteindre l’incendie.

Bronca chez les militaires et au Commissariat à l’énergie atomique. Les actionnaires d’Atos sont vent debout. Le fonds Alix AM, actionnaire minoritaire, vient de déposer une plainte auprès du Parquet national financier pour « corruption active et passive ».

En cause ? De très, très généreux « management packages » (intéressements à la réussite) promis par Kretinsky aux plus hauts cadres du groupe… avant que soit prise la décision de lui en donner les clés. Hum. Selon un autre fonds, Ciam, dans cette affaire, Daniel Kretinsky va récupérer près de 1 milliard d’euros de cash.

Toujours aussi gourmand

« C’est un véritable scandale. C’est de la corruption à grande échelle », s’étrangle une actionnaire qui dénonce « des conflits d’intérêts partout ». « Quand on pense à tout l’argent que le contribuable a versé pour restructurer la boîte, ce fric qui part dans les honoraires aux cabinets de conseil, de com’, aux avocats, aux banquiers… », ajoute un autre, qui s’avoue « écœuré ».

Kretinsky va attendre que ça se tasse et, s’il le faut, il va se retirer de ce guêpier. La vente définitive est prévue pour la fin de l’année. Est-ce sa faute si Jean-Charles Naouri a fait crouler Casino sous une montagne de dettes ? Est-ce sa faute si les dirigeants d’Atos ont planté la boîte en quelques années ? En attendant, il se sert un petit bol de thé vert et regarde passer les nouveaux dossiers. « Ce n’est pas le pigeon de service », a dit de lui Xavier Niel. Comme c’est bien vu.


Anne-Sophie Mercier. Dessin de Kiro. Le Canard Enchainé. 04/10/2023


Une réflexion sur “C’est l’histoire d’un patron…

  1. Bernard 11/10/2023 / 8h15

    Les incohérences de la politique économique de Macron et de ses conseillers se font jour dans cette affaire. C’est une question de sécurité nationale et Macron ne fait rien.

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