Ce n’est pas un canular.
L’hebdomadaire satirique a saisi officiellement l’actuel ministre du travail, Olivier Dussopt, pour faire valider le licenciement de l’un de ses journalistes d’investigation, Christophe Nobili, délégué syndical, à qui l’on doit, notamment, la révélation de l’affaire Fillon.
La direction lui reproche d’avoir lancé l’alerte en interne, et auprès de la justice, sur l’existence d’un possible emploi fictif dans l’entreprise.
Le 29 septembre dernier, la direction des éditions Maréchal, éditrice du Canard, a écrit formellement au ministre après que l’inspection du travail a, par deux fois, refusé ces derniers mois d’approuver le licenciement de Christophe Nobili.
Étant salarié protégé du fait de ses fonctions de délégué syndical (SNJ-CGT) et d’élu au comité social et économique (CSE), il ne peut être évincé d’un simple trait de plume, selon le droit du travail.
La direction du Canard enchaîné a ainsi essuyé, début août, un second refus de l’inspection du travail, qui a intégralement récusé les arguments de l’entreprise pour justifier le licenciement de Christophe Nobili. « Des indices importants permettent d’établir qu’il existe un lien entre la demande de licenciement et les mandats du salarié », a écrit l’inspectrice d’une unité de contrôle parisienne dans son rapport de synthèse.
En d’autres termes, le licenciement de Nobili pourrait être vu comme une mesure de rétorsion contre un salarié syndicalement actif.
Mais la direction cherche aussi à écarter un journaliste apporteur d’une sacrée mauvaise nouvelle pour la maison : […] Christophe Nobili a en effet découvert, presque par hasard, une d’emploi fictif au sein de son propre journal.
Édith V., l’épouse d’un ancien pilier du Canard, le dessinateur et administrateur du journal André Escaro, a en effet été rémunérée de 1996 à 2022, et inscrite parmi les journalistes salarié·es de l’entreprise, sans accomplir d’autre mission que celle de relayer les messages de son mari au journal.
D’après l’enquête de Nobili, Édith V. a perçu près de un million et demi d’euros et, avec les charges, a coûté près de 3 millions à l’entreprise sur toute la période concernée.
Christophe Nobili a raconté dans un livre écrit à la première personne, Cher Canard (Calmann-Lévy), les dessous de cette investigation d’un genre particulier qu’il n’aurait jamais imaginé devoir mener, expliquant aussi les raisons qui l’ont poussé à saisir la justice de l’« affaire Escaro ».
Christophe Nobili a reçu le soutien d’une partie de l’équipe, et notamment de Claude Angeli, l’un des rédacteurs en chef historiques du journal.
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Après les refus successifs de l’inspection du travail, la direction du Canard avait deux voies de recours possibles pour d’obtenir l’exclusion de Nobili : soit saisir les magistrats du tribunal administratif ; soit en référer directement au ministre du travail, c’est-à-dire à un membre du pouvoir exécutif, qui a le pouvoir de passer outre les considérations de l’inspection.
Au regard des « très importants délais de jugement, qui se comptent en années en cas de recours contentieux devant les juridictions administratives », le conseil d’administration du Canard enchaîné a donc décidé d’emprunter la voie ministérielle, comme cela a été annoncé par écrit en interne ces derniers jours.
Des salariés du « Canard » réagissent : « Apparemment, le ridicule ne tue pas »
La première ligne du texte donne le ton : « Maurice et Jeanne Maréchal, qui ont fondé Le Canard enchaîné en 1915, doivent s’en retourner dans leur tombe. » Dans un communiqué envoyé le 9 octobre, les vingt-cinq membres de la section syndicale SNJ-CGT de l’hebdomadaire s’émeuvent de la procédure engagée auprès du ministre du travail pour obtenir le licenciement du journaliste Christophe Nobili.
« Faire ainsi appel à un ministre pour trancher un conflit interne au journal peut surprendre venant d’un journal précisément satirique, dont la vocation, depuis un siècle, est de se gausser des travers et faux pas des gouvernants. En temps normal, ce genre d’exercice acrobatique, à rebours de valeurs et de l’indépendance proclamées, vaudrait un entrefilet saignant dans les colonnes du Canard… Apparemment, le ridicule ne tue pas », peut-on lire dans le communiqué.
« La direction du Canard enchaîné s’expose à nouveau à une humiliation publique, et risque de ressortir encore un peu plus déplumée, si ce n’est goudronnée, de ce bras de fer. Surtout au moment où certains dirigeants sont eux-mêmes sous le coup d’une enquête approfondie de la brigade financière », s’inquiète encore le texte.
Fabrice Arfi, Yunnes Abzouz et Karl Laske. Médiapart. Source (Extraits)
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