Plus 450% pour LE SÉCURITAIRE d’ÎdF.

[…] Depuis 2016, les dépenses sécuritaires de la Région ont connu une hausse exponentielle : doté d’un budget de 4 millions d’€ au lendemain de sa création, en 2017, le bouclier de sécurité s’est vu affecter, en 2022, 21,9 millions d’€ de crédits de paiement, soit une envolée de 447,5 %. Si l’on y ajoute les dépenses consacrées à la « sécurisation » des lycées, cela porte à 33,4 millions le budget que la Région Île-de-France consacre à la sécurité. À titre de comparaison, le budget régional réservait 120 millions d’euros à la culture en 2016, et 102 millions d’euros en 2022, soit un recul de 15 %.

  • Le préfet alerte

Dans un recours gracieux adressé le 18 janvier 2022 à la présidente du Conseil régional d’Île-de-France, le préfet de région pointe l’absence de fondements légaux de cette politique sécuritaire.

Visées, deux délibérations :

  • l’une, datant du 22 septembre 2021, visant à modifier la liste des équipements des polices municipales susceptibles d’être subventionnés par le conseil régional d’Île-de-France et attribuant de telles subventions ou des fonds de « soutien à l’équipement en vidéoprotection » à 35 collectivités locales,
  • l’autre, datant du 19 novembre 2021, prévoyant de financer à hauteur de 80 000 euros les brigades de sécurité dans les lycées pour l’achat de véhicules et de divers équipements qui ne sont pas mentionnés.

Le Préfet de région y souligne d’abord, pour la première délibération mise en cause, que les critères d’attribution de ces subventions aux communes ne sont pas précisés. L’examen de la liste des collectivités bénéficiaires laisse apparaître une certaine homogénéité politique : elles sont dirigées pour l’écrasante majorité d’entre elles par des maires étiquetés LR, UDI ou divers droite. La petite commune de Santeny, 4 014 habitants, dans le Val-de-Marne, est ainsi l’une des mieux servies : 112 620 € lui ont été attribués pour l’aider à s’équiper en vidéosurveillance, à la demande de son maire UDI, Vincent Bedu, élu régional et fervent soutien de Valérie Pécresse durant la campagne présidentielle. « Je n’ai jamais refusé pour l’instant une subvention à un seul maire quelle que soit sa couleur politique. J’ai toujours pensé que la sécurité, ce n’était ni de droite ni de gauche : c’est un bien commun, se défend Frédéric Péchenard, vice-président du Conseil régional d’île de France en charge de la sécurité.

[…]

  • Pécresse balaie d’un revers de la main

Dans ce recours gracieux, le préfet de région rappelle surtout que la compétence en matière d’ordre public revient au maire et au préfet de département, la Région ayant, elle, pour mission de « contribuer au développement économique, social et culturel ». Il en déduit que « les subventions à des polices municipales ne relèvent d’aucun de ces domaines » et remarque que « le code de la sécurité intérieure ne confère aucune compétence au conseil régional en matière de prévention de la délinquance ».

Il conclut en citant le jugement du tribunal administratif de Marseille qui déniait le 17 décembre 2019 au Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur la compétence pour subventionner les polices municipales de sa région. Une « jurisprudence » confirmant selon lui que « les Conseils régionaux n’ont pas compétence pour doter financièrement en équipements les polices municipales. »

Dans sa réponse pour le moins sèche, datée du 31 janvier 2022, Valérie Pécresse conteste la portée jurisprudentielle de cette décision, « un jugement d’espèce isolé », balaie d’un revers de main ce rappel à l’ordre et se dit « extrêmement étonnée du calendrier dans lequel intervient ce recours gracieux concernant des dispositifs qui ont été mis en place il y a plus de cinq ans maintenant ». […]

[…]

  • La stratégie du fait accompli

[…] Le 18 novembre 2020, à l’occasion du débat sur la Loi sécurité globale, l’un des lieutenants de Valérie Pécresse, le député de l’Essonne Robin Reda (réélu depuis lors sous les couleurs macronistes) se faisait dans l’Hémicycle l’avocat de cette stratégie : « L’arme fait à mon sens partie intégrante de l’uniforme d’un policier, qu’il soit national ou municipal, et j’ajoute que nous n’avons pas besoin de généraliser le port d’arme par la loi : cela se fera par l’incitation et le pragmatisme. »

Cette politique, pourtant, se lézarde lentement mais sûrement. À L’Haÿ-les-Roses, le maire, Vincent Jeanbrun, a dû remiser les drones dont il avait doté sa police municipale en toute illégalité. Président du groupe majoritaire au Conseil régional, il s’était livré à des démonstrations aux allures de films publicitaires pour louer cet « outil indispensable » capable selon lui de « créer en quelques secondes une bulle de sécurité ». « Ce drone peut capter des images aériennes en direct mais il est aussi équipé d’un haut-parleur qui permet de communiquer et notamment d’avertir les délinquants qu’ils sont filmés », s’enthousiasmait-il.

 En décembre 2021, il poussait avec l’exécutif régional à l’adoption d’un amendement autorisant le financement des drones à destination des polices municipales, en dépit d’une décision du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel pointant le caractère illégal d’un tel usage. 

En réaction, le groupe de la Gauche communiste, écologiste, citoyenne et l’association de défense des libertés numériques la Quadrature du Net attaquaient en janvier 2022 la délibération controversée devant le tribunal administratif de Montreuil. Avec de solides arguments : les drones utilisés par la police municipale seraient capables d’identifier les individus et pourraient ainsi traiter des données personnelles susceptibles de révéler leurs opinions politiques ou l’appartenance syndicale.

Ils s’appuyaient également sur une autre décision du Conseil Constitutionnel, rendue cette fois le 20 janvier 2022, censurant une disposition de la loi « sécurité intérieure » qui autorisait l’usage de ces engins par la police municipale, au motif que celle-ci « n’assure pas une conciliation équilibrée » entre le droit au respect de la vie privée et la prévention des atteintes à l’ordre public. 

Rétropédalage de l’exécutif régional : « La loi n’autorisant pas l’usage des drones par les polices municipales, la Région ne finance donc pas ces équipements à ce jour », élude-t-on désormais dans l’entourage de Valérie Pécresse.

  • La reconnaissance faciale, dernière lubie de la Région

Avec l’horizon des Jeux olympiques de 2024, l’exécutif régional s’est trouvé une nouvelle obsession sécuritaire, un nouveau fétiche « technologique » : la reconnaissance faciale. Un rapport d’Île-de-France mobilités, auquel la pressea eu accès, demande à l’État, « en lien avec la CNIL », « d’assouplir les conditions d’expérimentation de traitement des images vidéo par intelligence artificielle » dans le vaste champ de la « sûreté ».

Ces technologies, qui mobilisent des algorithmes pour analyser en temps réel des images fournies par des caméras de surveillance, seraient déployées avec le Laboratoire pour l’intelligence artificielle (Lab IA) rattaché à la Direction interministérielle du numérique, financé à hauteur de 1,2 million d’euros par la Région pour développer ses projets d’intelligence artificielle.

En matière de « vidéosurveillance automatisée », la région n’en est pas à son coup d’essai. En 2020 déjà, à la station de métro et de RER Châtelet-les-Halles, à Paris, dans le cadre d’une expérimentation menée à la faveur de la pandémie de Covid-19 avec la start-up cannoise Datakalab, six caméras permettaient de détecter le port du masque chirurgical. « Ce que je souhaite vraiment, c’est que l’on passe de l’expérimentation à l’utilisation à grande échelle, insiste Valérie Pécresse.

Nous sommes capables avec plus de 80 000 caméras sur le réseau de mettre en place de la reconnaissance faciale dans les gares pour des personnes terroristes dangereuses recherchées. Parce que nous sommes en risque terroriste, ça me paraît important d’apporter plus de sécurité avec une restriction minime de liberté puisqu’il s’agit juste de déterminer si la personne qui passe le portique est une personne recherchée, pas de savoir à un instant T si monsieur X est passé par là. La perspective des JO devrait nous amener à traiter ce sujet. Le gouvernement ne veut pas en parler, c’est tabou. Je pense qu’il faut briser le tabou et regarder dans quels cas ça se justifie et quels garde-fous mettre en place. Un cadre plutôt que le déni. »

Vice-président à la sécurité, Frédéric Péchenard, ancien pilier policier de la présidence Sarkozy, se montre plus prudent sur ce sujet, et se défend de vouloir donner corps à un « Big Brother à la chinoise » : «  La reconnaissance faciale, on ne peut l’expérimenter ou travailler dessus de façon intéressante qu’en soutien de l’État, en croisant les images de vidéoprotection avec une banque de données qui ne peut être que la possession de l’État. Techniquement c’est possible. Juridiquement et politiquement, ça l’est beaucoup moins. Et ça ne pourrait venir que d’une initiative de l’État. Nous nous contentons de dire nous sommes prêts à répondre positivement à une demande de l’État. »

 Ces dispositifs, qui tendent à forcer l’abandon de la notion de culpabilité structurant le droit pénal au profit de celle de « dangerosité », n’ont par ailleurs rien d’infaillible. Un masque sur le visage, et c’est toute la mécanique de la reconnaissance faciale qui s’enraye… « Il nous faut une loi qui l’autorise », soutient pourtant Valérie Pécresse.

  • La tentation du passage en force

Dans plusieurs pays, la reconnaissance faciale a été mise en pratique par des institutions bien avant d’être légalisée. « Lorsqu’elle fait face à des contradictions légales, la puissante collaboration entre industries et institutions gouvernementales réussit généralement à faire aménager le droit. Et lorsqu’elle n’y arrive pas, elle déblaie elle-même des espaces paralégaux pour imposer ses stratégies. Ce processus ne serait pas possible sans la collaboration d’une classe politique complètement investie dans la culture, l’économie et les politiques sécuritaires », remarque le chercheur Mathieu Rigouste dans son livre La Police du futur (10/18 Amorce, 2022).

En France, cette collaboration entre industriels et responsables politiques a sa vitrine : le salon Milipol, consacré à la sécurité intérieure des États. […] Le filon sécuritaire est en effet une source intarissable de profit, même quand l’efficacité des dispositifs mis sur le marché s’avère boiteuse.

  • Les entreprises de sécurité approuvent !

Pour les entreprises du secteur, les politiques régionales conduites par la droite sont une aubaine. […]


Rosa Moussaoui, Lola Ruscio. 14/11/2022. Source (Extraits)


Une réflexion sur “Plus 450% pour LE SÉCURITAIRE d’ÎdF.

  1. bernarddominik 17/11/2022 / 8h37

    Hier matin au carrefour local je croise 3 policiers municipaux en uniforme et armés venus faire la provision d’alcool.
    J’estime ça plus inquiétant que les risques de se faire agresser par un bandit armé que je n’ai jamais vu, ni entendu parler ici.
    Les caméras installées un peu de partout seraient rassurantes s’il y avait une personne pour les regarder.
    Elles peuvent peut-être servir à retrouver un coupable, mais pour la protection active, elles sont inutiles.

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