Isolé !

[Emmanuel Macron] Rendu méfiant par l’affaire Benalla, lâché par plusieurs fidèles, surprotégé par son premier cercle, le président quadragénaire se serait progressivement enfermé à l’Élysée comme dans une tour d’ivoire.

La dernière salve a été tirée par Laurent Berger. Le 6 janvier, le secrétaire général de la CFDT a révélé qu’il n’avait plus de contacts avec le chef de l’État depuis le 10 décembre, date d’un mini-sommet social improvisé à l’Élysée pour répondre à la crise. Trois jours plus tard, c’est Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, qui expliquait que lui non plus n’échangeait pas avec M. Macron. « Je pense que les partenaires sociaux ont un rôle à jouer dans la sortie de crise », a plaidé le patron des patrons, étonné de cette attitude alors que l’exécutif ne cesse de dire sa volonté de se réconcilier avec les corps intermédiaires.

Parmi les élus de la majorité, c’est aussi la soupe à la grimace. Beaucoup se plaignent de ne jamais voir le chef de l’État, ni de ne pouvoir échanger avec lui. « Je suis très surpris de voir la capacité d’une partie de ceux qui exercent les responsabilités, dont le président de la République, à s’être coupés de ceux qui l’ont soutenu pendant la campagne », constate un député La République en marche (LRM), déjà élu sous la législature précédente.

La dernière fois qu’Emmanuel Macron a réuni sa majorité, c’était le 11 décembre, mais la soirée avait tourné court à cause de l’attentat de Strasbourg. Bien sûr, Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, Gilles Le Gendre, le président du groupe LRM de l’Assemblée, ou François Patriat, celui du Sénat, rencontrent régulièrement le chef de l’État, notamment lors des dîners du lundi qui réunissent les principaux dirigeants de la majorité à l’Élysée. Mais ceux-ci se sont espacés et des parlementaires, même parmi les plus influents, se sentent aujourd’hui « coupés des lieux de décision ». « Cela explique que certains en viennent à jouer des coups par voie d’amendement ou des prises de position publiques contre des projets du gouvernement », constate un membre de la majorité.

A la sortie de l’été, ravagé par l’affaire Benalla, Gérard Collomb, l’un des fidèles de l’ex-ministre de l’économie, s’était inquiété de ce syndrome d’enfermement, quelques jours avant de démissionner. « Nous ne sommes pas nombreux à pouvoir encore lui parler », avait dit le ministre de l’intérieur à des journalistes, confidence lors d’un déjeuner révélée début septembre par La Dépêche du Midi.

Aujourd’hui encore, même ceux qui arrivent à voir le président de la République disent « se heurter à un mur ». Certains soutiens attribuent cet isolement à l’entourage du chef de l’État. Cette garde prétorienne, constituée de fidèles qui suivent M. Macron depuis son passage à Bercy en 2014, serait devenue néfaste, le couperait de la réalité, affirme-t-on. « Ils sont persuadés d’avoir raison sur tout, tout le temps », déplore un familier de l’Élysée. « Tu pisses toujours dans un violon quand tu fais remonter les trucs, ils n’écoutent pas. On fait une campagne girondine, et là tu te retrouves avec un centralisme encore pire que sous de Gaulle », s’énerve un membre actif de la campagne reparti dans le civil.

Dès l’été 2018, le communicant Philippe Grangeon, dont l’arrivée à l’Élysée est annoncée depuis plusieurs mois mais n’a toujours pas été officialisée, estimait que l’État ne pouvait être géré en « mode commando », comme l’avait été la campagne. Un avis partagé par Brigitte Macron, qui plaiderait, elle aussi, pour accueillir davantage de nouvelles têtes. « Elle redoute “l’effet secte” d’un entourage tenté dans l’adversité de se replier plus encore sur les fidèles des premiers jours », écrivent Nicolas Domenach et Maurice Szafran dans Le Tueur et le poète (Albin Michel, 320 p., 20 €), un ouvrage nourri d’entretiens avec le chef de L’État. A l’Élysée, on réfute pourtant tout enfermement.

« Cela n’existe pas, un président qui ne consulterait que ses conseillers, se défend un membre du cabinet. Tous sont des cadres supérieurs qui ont suivi le même parcours. Le président sait très bien que sa vision du pays ne peut pas venir que d’eux. » Au contraire, assure-t-on, M. Macron serait en contact avec nombre d’interlocuteurs, des responsables politiques comme François Bayrou, Jean-Pierre Raffarin ou Alain Juppé, mais aussi des membres de la société civile, des acteurs du monde culturel… « Christiane Lambert [présidente de la FNSEA] traite en direct avec le président, ça rend dingue la conseillère agriculture », assure un membre du premier cercle.

Outre ses messages nocturnes sur Telegram, le chef de l’État échangerait aussi beaucoup par le biais de son adresse Gmail personnelle, dont il est le seul à détenir les codes d’accès. Lorsqu’il était ministre, il avait l’habitude de la donner à la cantonade, au gré de ses rencontres. Depuis, il n’en a pas changé. « Il a des correspondances suivies avec beaucoup de monde, assure-t-on à l’Élysée. De temps à autre, il fait suivre des messages à des conseillers, pour les alerter sur un sujet ou obtenir une réponse. » « Le président n’est pas isolé, il est parfaitement au fait de ce qui se passe dans le pays », assure François Patriat, qui revendique de faire partie de ces « capteurs ».


Manon Rescan et Cédric Pietralunga, Le Monde – Titre original : « Emmanuel Macron s’est-il enfermé à l’Elysée ? » – Source ( Bref extrait)