P…. c’était mieux d’mon temps : peut-être mais c’était hier !

Dans la tourmente financière actuelle, les retours nostalgiques prospèrent. Leurs logiques pourraient se résumer ainsi : puisque « c’était mieux avant » – avant la mondialisation, la désindustrialisation, la montée du chômage, l’effritement des structures d’encadrement social (école, partis, Eglises) -, alors les qualités qui manquent à notre présent se nichent dans notre passé. Est-ce si vrai ?

La mélancolie passéiste  gagne des auteurs situés à gauche. L’organisation sociale issue de la Libération inspire les réflexions non seulement du Front de gauche, du Parti socialiste … mais aussi – de manière plus opportuniste – de la candidate du Front national.

Longtemps encouragée par les puissants, la destruction du programme du CNR dont sont issues des régulations socio-économiques, suscite une réprobation croissante.

La brochure « Indignez-vous » de Stéphane Hessel accommode au goût du jour les fondamentaux du programme du Conseil national de la Résistance et les conquêtes sociales de la Libération, est dans cette droite ligne.

L’attrait pour une époque où le rapport des forces sociales était « moins défavorable » aux salariés signe incontestablement un effritement de l’hégémonie néolibérale. Mais il reflète aussi l’impuissance stratégique de la gauche. Pour les forces vives des grandes révolutions, du combat féministe, des batailles syndicales, des mouvements anticolonialistes, le refus du présent appelait l’invention d’un avenir.

La connaissance des désillusions passées et la conscience des aliénations nouvelles portaient l’imaginaire radical en avant. Désormais, il bat en retraite.

Dans la lutte défensive menée par les réfractaires aux lois du marché, l’usage de l’histoire a produit deux effets contradictoires qui sont de rappeler les accomplissements sociaux de l’après-guerre d’un coté de l’autre, les concessions gouvernementales accordées sous la pression des puissants syndicats et leurs militants constituaient un puissant antidote à l’idéologie de la « seule politique possible »

Mais, à force de jauger l’ampleur des régressions à l’aune d’un point de référence situé quelque part entre 1944 et 1975, on institue implicitement le modèle économique d’après-guerre en mètre étalon de la justice sociale : un plafond du progressisme, hors s’il fut une période heureuse pour l’emploi et le pouvoir d’achat il ne peut-être assimilé au parfait bien être, espéré, attendu par la classe salariale.

« Depuis la fin des années 1970 », « depuis le tournant libéral de la gauche », « depuis la première crise pétrolière », « Depuis la chute du mur de Berlin », « Depuis l’effondrement de l’union soviétique »

Ces expressions familières, préludes à l’analyse des reculs socio-économiques survenus par la suite, installant machinalement une équivalence entre le combat contre la pensée de marché et le retour aux formes antérieures de régulation économique.

Retour à un capitalisme industriel présumé bienfaisant, mais perverti par la finance; retour au compromis social d’après-guerre supposé équilibré, mais détraqué par le néolibéralisme; retour aux formes d’encadrement et de contrôle collectifs pulvérisés par la dissolution des solidarités, l’urbanisation de masse et « l’esprit » de Mai 68.

La seconde moitié des années 1940 signa l’acte de naissance de l’Etat-providence français : création de la Sécurité sociale et de l’assurance-vieillesse, établissement du statut de la fonction publique et rétablissement des délégués du personnel, nationalisation du crédit et de l’énergie. Pour autant, la vision rétrospective d’un paradis social tient du mirage.

La majorité des outils de production demeurent aux mains du privé et, comme le note l’historien américain Richard Kuisel, « la planification française prit un caractère néolibéral plutôt que socialisant ou syndicaliste (1) ». On touche là au paradoxe de la gauche nostalgique : elle regrette à présent l’ordre qu’elle combattait hier.

Les idées de démondialisation et de relocalisation gagnent en audience depuis quelques années (2). Leurs partisans se distribuent sur l’ensemble du spectre politique. Sur la frange gauche, la stratégie du « un pas en arrière, deux pas en avant » s’affiche sans fard : rétablir les réglementations commerciales et financières démantelées au nom du libre-échange desserrerait l’étau de la concurrence internationale et fournirait au salariat les conditions d’une mobilisation progressiste qui favoriserait à plus long terme l’établissement de nouveaux rapports sociaux. Lesquels? Mystère.

Les chemins d’une socialisation des moyens de production, les contours d’une démocratie égalitaire, pourtant si patiemment explorés par des générations d’insoumis, ne comptent pas au nombre des sujets qui attisent la fièvre nostalgique.

A défaut d’être systématiquement associée à une finalité d’émancipation sociale, la démondialisation reste une boîte à outils à la disposition de partis politiques aux buts notoirement opposés.

Combattre la concurrence internationale sans mettre en cause le rapport de classe sur le plan national revient à nouer une alliance avec la (large ?) fraction du patronat hostile à la mondialisation et désireuse de retrouver la quiétude d’une exploitation sous pavillon tricolore – celle des « trente glorieuses » et des activités non délocalisables, comme le bâtiment et la restauration, le tourisme, l’aide aux personnes dépendantes…

Un protectionnisme progressiste, irrécupérable, s’envisagerait aisément : il suffirait à ses promoteurs de toujours l’associer à l’exigence d’un contrôle des entreprises par leurs salariés, revendication fondatrice de la gauche

Pendant que la crise financière rebat les cartes idéologiques et place les gouvernements libéraux face à leurs contradictions, la gauche se consume de modestie.

Largement inspiré d’un article signé Pierre Rimbert – Brochure « Débats et Histoire »,  « Manière de Voir »,  « Le monde Diplomatique ».

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  1. Richard F. Kuisel, Le capitalisme et l’État en France. Modernisation et dirigisme au XXe siècle, Gallimard, Paris 1984
  2. Lire Frederic Lordon « La demondialisation et ses ennemis  »  » Le monde Diplomatique  » Aout 2011