De la reflexion…

Les écoles allemandes tentent d’équilibrer enseignement spécialisé et inclusion

La question de la désinstitutionnalisation se posant à tous les pays européens, les écoles allemandes essayent de proposer diverses options de scolarisation inclusive. Classes extérieures ou inclusion, tous les dispositifs ne se valent pas. L’existence d’institutions spécialisées continue à être une nécessité pour le bien-être de chacun.

Alors que la France est appelée à intensifier sa démarche de désinstitutionnalisation (lire notre article), cette problématique concerne l’ensemble des politiques sociales à l’échelle internationale. Hospimedia a décidé de se rendre dans différents pays européens pour étudier les progrès réalisés par nos voisins dans ce domaine. Première étape : l’Allemagne. La rédaction vous emmène d’abord visiter des écoles dans le Bade-Wurtemberg.

« Lorsque nous ne nous concentrons pas uniquement sur l’inclusion, cela nous permet de nous focaliser sur ce qui est important pour l’enfant, estime Timur Erdem, directeur de la Karl-Georg-Haldenwang-Schule à Leonberg en Allemagne (Bade-Wurtemberg). Son école spécialisée (Förderschule) est localisée en centre-ville, une volonté forte du fondateur afin de faciliter l’inclusion des enfants déficients intellectuels qu’elle accompagne.

Elle-même pensée comme une sorte de village, elle se regroupe autour de la cour de récréation, sorte de place centrale. Réparties sur son pourtour, de petites maisons accueillent trois classes par bâtiment qui possède chacun une cuisine, pour permettre aux enfants d’apprendre des compétences de la vie quotidienne. Structure spécialisée, l’école tente d’offrir à tous toutes les possibilités de l’inclusion.

Dans sa région, l’éducation des enfants à besoins spécifiques peut prendre trois formes : d’une part, un accueil à temps complet au sein de la structure, une classe extérieure (Außenklasse) ou encore une inclusion en classe. Si la première modalité d’accompagnement s’accomplit dans un cadre spécialisé, à l’instar d’un suivi en institut médico-éducatif, les deux autres options interviennent au sein d’une classe d’une école ordinaire.

La classe extérieure consiste en un petit groupe d’élèves en situation de handicap qui suivent des cours en parallèle avec une classe normale et qui bénéficient à ce titre de la présence d’un ou deux enseignants spécialisés en sus de la ressource pédagogique de l’école. Le système de l’inclusion est plus individuel en ce que l’enfant est scolarisé directement dans l’école et bénéficie d’un temps d’enseignement spécialisé par semaine mais qui ne permet pas de couvrir l’intégralité de la semaine.

Des classes extérieures beaucoup plus intéressantes

Dans les faits, « les parents ne s’intéressent pas au système de l’inclusion« , explique-t-il. En effet, si la présence de plusieurs enfants en inclusion permet de mutualiser les moyens, « quand il y a moins d’enfants avec des besoins spécifiques, cela signifie qu’il y a moins de pédagogie adaptée« , relève VeraKettenmann, enseignante à la Comeniusschule à Schwetzingen (Bade-Wurtemberg).

Au contraire, les classes extérieures semblent être intéressantes pour tous les acteurs. « Le système des Außenklasse est aussi très profitable pour les écoles car il y a alors toujours deux professeurs dans la classe« , souligne Timur Erdem. Parmi ces trois modalités d’accompagnement, le parent, conseillé par l’école par le truchement d’une structure de conseils précoce (Frühberatungsstelle), doit émettre un choix qui est communiqué au conseil scolaire (Schulamt) qui à son tour va diriger l’enfant vers l’école idoine, spécialisée ou non.

Par exemple, Christian Mang a fait le choix de scolariser sa fille au sein d’une école du milieu ordinaire mais avec le soutien de la Comeniusschule : « Nous avons travaillé ensemble pour mettre en place cette solution ; le dialogue a été compliqué avec le dialogue scolaire. » Il a insisté en faveur de cette organisation car, de cette manière, il avait le droit de s’exprimer au sein des instances de dialogue en tant que parent d’élève.

Pour lui, l’école Comenius est « un paradis« . À quelques pas d’un jardin d’enfants et également localisée en centre-ville de Schwetzingen, elle accueille aussi des enfants porteurs de déficiences intellectuelles. Ici, les effectifs sont petits afin d’assurer aux élèves un cadre d’apprentissage apaisant et adapté. Les murs sont constellés de pictogrammes. L’utilisation de moyens de communication alternatifs est cruciale. La structure dispose d’ailleurs d’un règlement intérieur entièrement rédigé en pictogrammes. Ces adaptations ne sont pas disponibles pour les élèves scolarisés en classes extérieures ou en inclusion.

En pratique, ces solutions inclusives nécessitent de la part de l’école spécialisée le développement d’un véritable réseau de partenaires. Si le financement des salaires des professeurs échoit systématiquement au Land, le montage économique n’est pas si simple. En effet, explique Timur Erdem, « il arrive fréquemment que le porteur de l’école spécialisée ne soit pas le porteur de l’école partenaire, cela peut poser des problèmes. »

Les écoles spécialisées elles-mêmes ne relèvent pas nécessairement du même financeur. De ce fait, il est parfois compliqué de monter des projets faute de pouvoir facturer de manière claire les prestations. « C’est compliqué de faire un décompte par tête« , regrette le directeur de la Karl-Georg-Haldenwang-Schule. « Le système de financement est super compliqué« , résume Eleonore Frölich, directrice de la Comeniusschule. Quelle que soit la solution inclusive retenue, in fine, ce qui compte c’est que « pour les enfants, c’est comme s’ils étaient scolarisés à l’école« , explique Christian Mang.

Système scolaire à trois filières

Une autre particularité du système allemand d’inclusion scolaire est la compartimentalisation du secondaire. En effet, à partir de la cinquième classe (équivalente au CM2), les élèves du milieu ordinaire sont répartis en fonction de leur niveau dans trois types d’écoles : Hauptschule, Realschule ou Gymnasium. Ce système tripartite interroge sur une certaine forme d’élitisme.

Dans un instantané de l’inclusion dans les écoles allemandes, la fondation Bertelsmann relève un engagement très variable des différentes écoles à l’engagement inclusif. Elle s’interroge sur le fait que « le système scolaire allemand doit imposer l’enseignement inclusif dans les écoles du niveau secondaire au sein d’un système scolaire divisé, donc axé sur l’exclusion. »

En effet, « nos rapports avec les Gymnasium sont encore compliqués« , déplore Eleonore Frölich. Il convient de relever que certains Länder ont néanmoins fait le choix de mettre en place un système de Gesamtschule, qui réunit tous les profils.

Une question politique

Autre complexité du système allemand, son manque de lisibilité sur l’ensemble du territoire outre-rhin. Chaque Land dirige les modalités de l’inclusion à l’école. « Lorsque nous discutons avec des directeurs d’autres Länder, c’est presque comme si nous parlions avec des collègues d’un autre pays« , raconte Timur Erdem. De ce fait, « l’inclusion est bien une règle fédérale mais il n’y a pas forcément les trois possibilités« , explique Eleonore Frölich.

Cette organisation différentielle sur le territoire souligne à quel point l’école inclusive est une question politique. Wolfgang Weil, père d’un jeune homme en situation de handicap longtemps scolarisé à la Karl-Georg-Haldenwang-Schule, témoigne de son départ de Stuttgart pour venir à Leonberg car les solutions proposées à son fils ne leur convenaient pas : « Nous avons déjà vu comment cela se passait au jardin d’enfants ; il s’agit vraiment d’une question politique. » De ce fait, les résultats en termes d’inclusion peuvent fortement varier.

Dans son instantané de l’inclusion dans les écoles allemandes, la fondation Bertelsmann souligne ainsi que si au global, le taux d’inclusion à l’école augmente (désormais environ 45% des enfants à besoins spécifiques sont scolarisés à l’école ordinaire, contre 55% en institutions spécialisées), « ces évolutions révèlent des différences considérables entre les Länder.« 

Nous avons besoin de l’inclusion mais aussi du choix !
Julia Meixner, directrice adjointe de la Karl-George-Haldenwang-Schule

Cette fondation d’ailleurs s’inquiète de ce qu’en Rhénanie-Palatinat, au Bade-Wurtemberg, en Bavière et en Sarre, les « taux d’exclusion » (faisant référence au nombre d’enfants accompagnés en milieu spécialisé) aient augmenté depuis 2009, date de la ratification par l’Allemagne de la convention internationale des droits des personnes. Eva-Marie Thoms, présidente de l’association des parents d’élèves Mittendrin à Cologne (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), déplore : « Nous sommes en train de régresser ; les politiciens n’ont rien fait pour développer l’éducation inclusive, il n’y a aucun pilotage, aucun accompagnement. »

De ce fait, la fondation Bertelsmann s’interroge : « Un débat s’impose sur la question de savoir si l’Allemagne doit réellement renoncer à l’objectif convenu de la convention des Nations unies. » Pour Christian Mang, « la convention est importante mais elle doit rester un outil et non une contrainte. » Julia Meixner, directrice adjointe de la Karl-George-Haldenwang-Schule, souligne « si tout le monde devait aller à l’école normale, certains seraient perdus et ils risqueraient en fin de compte de rester à la maison. » Elle conclut : « Nous avons besoin de l’inclusion mais aussi du choix !« 

Accompagnement vers l’emploi

« Nos élèves ont envie de travailler en milieu ordinaire, explique Julia Meixner. Cela leur donne plus d’options. » L’accompagnement vers l’emploi est un point de vigilance aussi bien de la Comeniusschule que de la Karl-George-Haldenwang-Schule. Les parents d’élèves et les professeurs de cette dernière sont d’ailleurs à l’origine d’une entreprise inclusive, Pfiffikus.

Ce partenariat permet à l’institution de trouver plus facilement des places de stages. Les deux écoles font également participer leurs étudiants à des conférences sur les parcours professionnels (Berufswegekonferenz) qui réunissent des acteurs tels que l’agence du travail ou le service d’intégration.

Elles maintiennent néanmoins des partenariats avec des ateliers pour personnes handicapées, qui accueillent la majorité de leurs élèves à la fin de leur parcours. Malgré tout, « l’objectif est le premier marché du travail« , souligne VeraKettenmann.


Edoxie Allier, à Leonberg et Schwetzingen (Allemagne) Source allemande.


Une réflexion sur “De la reflexion…

  1. tatchou92 27/03/2024 / 21h07

    Nous sommes proches et si loin de nos voisins allemands… corrigeons d’abord ce qui cloche, si l’état des finances le permet…

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