Broussailles de silence

Ce matin de clairière au mitan des halliers, un tranquille frisson parcourt les hautes herbes enguirlandées de rosée. Pas âme qui vive à trois lieues à la ronde… Enfin, selon l’acuité du regard, la subtilité de l’ouïe…

À quelques sautillements de lutins, là, tout près, dans l’inextricable roncier, au cœur griffu des bourdigas et des bartasses, sommeille celui dont le nom seul agace.

Sentiment fugace ? C’est selon l’humeur du quidam… Colmatez vos oreilles, levez les yeux au ciel, serrez les poings : surgissant tel un diable de sa boîte à ressort, voici que jaillit Monsieur le Bruit !

Orné de ses beaux décibels aux couleurs acidulées, il pavoise, arrogant, trépignant, coq fringant au cul de la poule, feu de savane dévorant l’espace apeuré, pétarade dominicale des beaux chasseurs sachant chasser, dissonance d’un rock métal strident de rouille…

Taisez-vous, Monsieur le Bruit ! Une fois pour toutes, cessez vos tapages, boucans et autres vacarmes ! Écoutez plutôt le sourire de Maurice Maeterlinck, celui qui parlait à l’oreille des abeilles : « Le silence est l’élément dans lequel se forment les grandes choses ».

Dame Nature se réveille en sursaut, se frotte les paupières chlorophylles et, de fil en aiguille, rapetasse la robe de ses rêves, recoud des ourlets de cauchemars…

D’orties en épines, la vie pique et joue à colin-maillard tandis que les lendemains s’embroussaillent gaiement de silencieuses ferveurs, muettes clameurs de ces hameaux blottis au creux des châtaigneraies séculaires aux saveurs de tanins.

On aimerait s’étendre là, sur le feutre moussu de la sylve touffue, caresser du regard les lichens, ces dentelles d’argent qu’arborent de vénérables écorces ; on aimerait écouter la brise nous chuchoter des secrets vastes comme des galaxies… On aimerait… On aimerait… Mais chut !

Aujourd’hui, le silence épouse sa soeur, la brume ouatée d’un matin de mésanges. Inceste pardonnable aux yeux d’Euterpe, la muse lyrique. Un avant-goût du bonheur selon le poète.

Allons, voici l’heure d’aller frôler la raiponce et la fougère sur le sentier lumineux des songes anciens. Et là, posant le pas sur le pas de nos aïeux, au tohu-bohu assourdissant du monde, « Ne répondre plus que par un froid silence ». (Alfred De Vigny).


Daniel Loubersac. Recueil « Illusoires courtes d’Ardèche et d’ailleurs ». Ed. La Calade



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