Mayotte…

… coûteuses cicatrices de la colonisation !

Sur le port de Mamoudzou, un flamboyant panneau tricolore clame : « Mayotte est française et le restera à jamais ». Â Moroni, en Grande Comore, on trouve la version symétrique : « Mayotte est comorienne ».

Pour comprendre ce micmac, il faut faire un peu d’histoire. On n’en serait pas là si la France n’avait pas décidé de planter son drapeau dans des îles où elle n’avait rien à faire. Mais bon, c’est ainsi. Â partir du début du XXe siècle, l’archipel des Comores est une seule et même colonie française, composée de quatre îles : Grande Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte. Mais des divergences ne tardent pas à apparaître entre Mayotte et les autres îles.

Dés 1958, les Mahorais expriment leur désir de rester dans le giron français. Â l’inverse, les Comoriens souhaitent accéder à l’indépendance. En 1974, un référendum est organisé. Grande Comore, Anjouan, Mohéli se prononcent pour l’indépendance… à 99 %. Tandis que Mayotte vote pour la France à 65 %.

Or il y a une règle dans le droit international : toute indépendance doit se faire dans le cadre des anciennes frontières coloniales, censées former une unité. En 1975, l’ONU reconnaît donc l’Union des Comores comme un pays indépendant, en incluant Mayotte. À cela, les Mahorais opposent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Quant à la France, pas question de laisser échapper cette position stratégique dans l’océan Indien. En 1976, elle organise un second référendum, uniquement pour Mayotte. Avec un score plus que soviétique, les Mahorais plébiscitent le rattachement à la France à 99,4 %. Dès lors, l’État comorien n’a pas cessé de contester la décision auprès de l’ONU, laquelle a systématiquement condamné la France, jusqu’en 1995. Voilà donc un département françaiscréé en violation du droit international ! Preuve, une fois de plus, que cette notion est à géométrie variable. Cependant, l’enthousiasme de Mayotte pour le drapeau tricolore n’est pas fait que d’amour pur. Selon Nicolas Roinsard, maître de conférences en sociologie à l’université Clermont-Auvergne, « le « oui à la France » a toujours exprimé, d’abord et avant tout, un « non aux Comores » ».

Après avoir longtemps eu le statut de collectivité territoriale, Mayotte devient le 101e département français en 2011. L’aboutissement d’un demi-siècle de revendications locales. Et le début d’autres problèmes, poursuit Nicolas Roinsard : « La départementalisation a durci les inégalités. En assujettissant davantage Mayotte à la métropole, elle favorise les gens intégrés et éduqués, mais défavorise encore plus la population qui n’a pas les ressources pour s’adapter, par exemple celle qui ne maîtrise pas la langue française. » Paradoxale situation, où ceux qui rejetaient hier la France se ruent aujourd’hui sur l’ile ayant choisi d’intégrer ce pays (à l’exception de ceux, nombreux, qui se noient en tentant de franchir les 100 km qui séparent Mayotte de l’île comorienne d’Anjouan).

Cependant, il ne s’agit pas des mêmes individus : « C’est l’élite comorienne qui veut le rattachement avec Mayotte, tandis que les plus pauvres y migrent , ajoute Roinsard. Quant à la politique de l’État français, elle relève d’un jeu d’équilibriste : le développement de Mayotte est couramment associé au risque de l’appel d’air » pour les migrants. »

Le rejet des Comoriens par les Mahorais est presque une affaire de famille, comme le souligne Alison Morano, anthropologue à l’Institut des mondes africains et spécialiste de la jeunesse non scolarisée de Mayotte : « Le paradoxe, c’est que la plupart des Mahorais ont des liens avec des gens aux Comores. Leur hostilité aux migrants ne s’apparente pas à du racisme, mais on peut dire que c’est le rejet d’un « étranger de l’intérieur ». »

Bref, le bordel de Mayotte découle largement de la colonisation française.

Celle-ci a duré environ un siècle et demi, mais on n’a pas fmi d’en payer les conséquences, et pour longtemps encore.


Antonio Fischetti. Charlie hebdo. 01/02/2023


  • Pour aller plus loin, lire l’ouvrage de référence de Nicolas Roinsard : Une situation postcoloniale. Mayotte ou le gouvernement des marges (CNRS Éditions).

2 réflexions sur “Mayotte…

  1. bernarddominik 06/02/2023 / 12h07

    Il serait temps de rendre Mayotte aux Comores. C’est une colonie rebaptisée département. La France n’a rien à faire là-bas.

    • Libres jugements 06/02/2023 / 12h40

      Deux choses à connaître :
      1) Les autochtones se sont prononcés pour rester dans le giron de la France par référendum, ce qui garantit une certaine forme de « subventions » aux habitants.
      2) L’état-major militaire tout comme le ministère des Affaires étrangères voient un intérêt stratégique français (géopolitique) à rester dans cette partie du monde.
      Dans tous les cas, je ne valide ni l’un ni l’autre, l’autonomie des ex-colonies françaises, devrait être actée. Des intérêts commerciaux et financiers divers (sous-sol, main-d’œuvre bon marché, etc.) « autoriseraient-justifieraient » selon certains, la prégnance gouvernementale contre les autochtones.

Les commentaires sont fermés.