D’ordures en ordures…

Voici une histoire. Hélas de nos jours très banale…

Cette banalité, comme bien d’autres, n’est-elle pas d’énonçable ?

Banale, donc instructive. Genas est une petite ville (13 000 habitants) à une quinzaine de kilomètres à l’est de Lyon, dans le Rhône. Avec comme point culminant (à 250 m d’altitude) un glorieux fort militaire construit entre 1886 et 1890 sur moins de 10 hectares.

Notons la taille de la caserne, prévue pour 378 soldats, protégée par une muraille de béton de 2 m d’épaisseur. Comme dans Le Désert des Tartares, on veillera en vain, l’oeil rivé au loin sur Bourgoin-Jallieu, Crémieu, Chambéry.

Plus tard, les Allemands rappliquent, occupent, et, quand ils s’enfuient, en août 1944, font tout sauter. II ne reste à peu près rien, sauf d’immenses blocs de béton, qui s’enfoncent peu à peu. Et quantité d’obus et de munitions qui se perdent sous les racines.

La suite est avenante : en 1959, la Ville de Genas vend ce qui reste à une fonderie de Villeurbanne, Lenne. Pendant quarante ans, le lieu sert de décharge épouvantable (aluminium, zinc, plomb, cadmium), pour un total estimé de 62 000 tonnes de déchets chimiques. À quoi il faut ajouter des dépôts du BTP, de l’ordre délirant de centaines de milliers de tonnes.

En 2001, la Ville rachète le tout.

Et c’est alors que surgit Daniel Valero. Élu maire en 2008, c’est un constructeur dans l’âme, mis en cause par Mediacités pour une transaction immobilière(1). Rien d’illégal à ce stade, mais il reste qu’un bien municipal passe à un promoteur très actif à Genas, qui le revend au fiston du maire.

Valero a bien d’autres projets, dont celui de construire des centaines de logements en lieu et place de l’ancien fort, devenu depuis son abandon une forêt.

En 2019, le plan local d’urbanisme (PLU) de Genas fait gentiment passer le fort de zone naturelle et forestière à zone à urbaniser.

Pour Valero, la forêt n’est qu’une friche de « petits arbres » et de plantes invasives. Il faut donc construire, car l’entretien du lieu coûterait bien cher à la ville. Et puis il y a les munitions, qui pourraient exploser, ce que tout le monde sait sur place depuis la guerre. Sauf Valero?

Malgré cette évidente philanthropie, et sans surprise, il y a des opposants. Pas exactement des boutefeux, si l’on en croit leur prudente pétition (2). L’association Inspire Genas y déclare : « Cette masse boisée, sauvage et marquée par l’existence d’une polution historique, est un élément marquant du paysage de la commune de Genas. Elle est un îlot de fraîcheur et un refuge, depuis de nombreuses années, pour la biodiversité. La destruction de ce poumon vert aura des conséquences néfastes et irréversibles (3). »

A priori, nul ne peut savoir ce qui se passe dans cette forêt, clôturée depuis bientôt quinze ans. Mais les naturalistes du club nature de Genas ont commencé un semblant d’inventaire, très incomplet puisqu’ils sont contraints, en théorie, de rester en périphérie du lieu (4). Ce qu’ils rapportent confirme que la forêt de Genas n’est pas l’Amazonie. Les arbres et arbustes sont ceux que l’on trouve aisément ailleurs, même si certains sont magnifiques. Des robiniers faux acacias, des frênes, des noyers, des érables, des sycomores, des cornouillers sanguins. L’ensemble est une sorte d’abandon somptueux, parcouru par des papillons comme le robert-le-diable, le citron, l’argus bleu. Les hérissons y croquent des lucanes cerfs-volants, les éperviers y dégustent dans l’herbe les pigeons ramiers, les grives, les merles, les rouges-queues, et les troglodytes y mènent leur vie au-dessus des bombes laissées par la folie du monde. –

Une autre association, Arthropologia, complète cet état des lieux par une solide estimations (5) . Le fort pourrait abriter 50 espèces d’abeilles, 200 de papillons, jusqu’à 10 de mammifères, entre 50 et 60 d’oiseaux.

Parmi les innombrables questions, celle-ci : est-il raisonnable d’y construire un lotissement? Une telle pollution ne saurait en effet être effacée. Si même des travaux lourds avaient lieu, ils ne feraient jamais disparaître l’infâme merdier. Des centaines de personnes prendraient leur douche au-dessus de la sanie industrielle. Raisonnable ?


Fabrice Nicolino Charlie Hebdo 12/10/2022


  1. Mediacités est un très remarquable journal indépendant en ligne, que Charlie soutient: tinyurl.com/39vyx25n
  2. change.org/p/la-for%C3%AAt-dulort-de-genas
  3. inspiregenasfr
  4. anyurl.com/5fcvh8e4
  5. tinyurl.com/3kthv843

2 réflexions sur “D’ordures en ordures…

  1. bernarddominik 21/10/2022 / 18h50

    Les promoteurs rien ne les arrête. Ce n’est pas eux qui vont y habiter.

    • Libres jugements 22/10/2022 / 11h02

      Vrai, d’autant que ce genre de terrain, comme personne ne souhaite, connaissant son historique, y habiter, est en général vendu bien en dessous de la valeur marchande d’un terrain « sain » equivalent.

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