Lumière sur le Ministre des Armées.

Sébastien Lecornu

Vite, vite, changer de style. C’en est fini des gamineries, des imitations de Chirac pour faire marrer les potes, des pochades avec Darmanin habilement mises en scène, des dialogues d’Audiard qu’on connaît par coeur et qu’on déballe pour se mettre la presse dans la poche, des confidences, toujours les mêmes, sur le « il y a une vie après la politique, d’ailleurs un jour je compte bien ouvrir un bar à vins, avec quelques plats du jour et des bons petits crus de derrière les fagots, bref un truc simple, vous voyez ». Bien sûr qu’on voit.

Lecornu est désormais ministre des Armées, à 36 ans, et il se rêve homme d’Etat, il va donc cesser de dire « pomper l’air » ou « ils vont pas me la faire à l’envers, ces mecs », et arrêter de passer ses journées à draguer les élus locaux pour les ramener dans les filets du Président. Pêcheur de petits poissons, ce n’est plus de son niveau.

C’est donc la mine grave, le regard perçant et les lèvres serrées qu’il est arrivé le 20 mai à l’Hôtel de Brienne pour la passation des pouvoirs de Florence Parly, qu’il a tant applaudie devant les militaires et les membres de son cabinet qu’elle en était un peu gênée.

Vieille habitude héritée de sa fréquentation assidue des conseillers généraux et maires de petites villes : des applaudissements bien sentis, une flatterie au creux de l’oreille, une breloque à leur boutonnière, une gentille phrase du genre : « Paris a beaucoup à apprendre des territoires, le Président me le disait encore ce matin », et c’était dans la poche.

Rigolard de la guerre

Les « gens », il connaît, enfin, c’est ce qu’il pensait jusqu’à ce que son département, l’Eure, dont il fut président du conseil départemental puis sénateur, élise quatre députés RN sur cinq, en juin dernier… Avec Parly, ministre depuis cinq ans, on ne la joue pas comme ça. Mais Lecornu ne refera plus ce genre d’erreur, car il apprend vite. Cet esprit délié a su se faire apprécier des militaires dès son premier discours en évoquant les hommes blessés ou morts au combat, et son grand-père résistant. Auditionné devant la commission de la Défense de l’Assemblée le 7 juillet, son style clair et précis a convaincu. Il est vrai qu’il a habilement évité les sujets qui fâchent et qui vont fatalement le rattraper sur les investissements à réaliser en période de disette budgétaire pour faire face à des conflits dits « de haute intensité » qu’on croyait réservés à d’autres continents.

« Vous iriez à la guerre avec Lecornu, vous ? Moi je peux vous dire que non. C’est incroyable, cette histoire ! » C’est Bayrou qui parle.

Confidences à « L’Express », juste après la nomination de Lecornu, partiront pas en vacances ensemble, ces deux-là. Lecornu à l’Hôtel de Brienne, ça en a étonné plus d’un. Tous ceux qu’il a roulés ou dont il s’est servi, d’abord. Nicolas Hulot, dont il fut secrétaire d’Etat, qu’il décrivait en grand homme avec des mines d’écolier enamouré alors qu’il rapportait tout ce qui se passait à son cabinet à Edouard Philippe, écologiste des plus tièdes.

Jacqueline Gourault, aujourd’hui au Conseil constitutionnel, ancienne ministre de la Cohésion des territoires, dont il dépendait quand il était ministre des Collectivités locales, et qui confiait souvent à ses amis du MoDem qu’elle n’avait aucune confiance en lui. « Lecornu, c’est un mec d’arrière-cuisines politiciennes, un petit magouilleur, un petit mec, quoi », balance un député MoDem qui n’a jamais été sensible à sa bande de potes rigolards, Thierry Solère, Darmanin et Edouard Philippe, « une team blagounette » qui a fini par lasser.

Clairon de jambe

Le « petit mec » a gardé son habileté et cultive ses contacts avec Jean-Yves Le Drian, incontournable pour la vente d’armements. Un député de la commission des Affaires étrangères l’a vu encourager Jean-Louis Bourlanges, le très apprécié président de ladite commission, à rempiler, lui qui ne souhaitait pas se représenter : « Jean-Louis, j’insiste, c’est absolument essentiel. » Tant de métier désarme même les esprits les plus affûtés.

Pourquoi lui ? « Avec les résultats des élections en outremer (dont il était ministre) désastreux pour nous, il n’aurait pas dû être promu », assure un député de la majorité. Sans doute, mais Lecornu avait plus d’un atout dans sa manche.

Quand Macron se retrouve empêtré dans la gestion du conflit des gilets jaunes, c’est Lecornu qui lui souffle l’idée du grand débat, dont il va être l’un des animateurs. Fort astucieux. Il s’est, comme par hasard, retrouvé président de l’Association de soutien à la réélection d’Emmanuel Macron, et il est fort bien vu de la femme du Président, puissante DRH de la Macronie.

A son arrivée au ministère des Armées, il a confié : « J’ai envie de servir mon pays comme jamais je ne l’ai ressenti. » On veut bien le croire.


Anne-Sophie Mercier. Le Canard Enchainé. 27/07/2022


Une réflexion sur “Lumière sur le Ministre des Armées.

  1. bernarddominik 01/08/2022 / 23h03

    Un de ces jeunes aux dents longues, mais la macronie survivra t elle à Macron? Macron est trop orgueilleux pour accepter un second rôle son mandat terminé.

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