Mort programmée

L’industrie automobile française (comme européenne) se saborde.

Sauf erreur de myope, on a aperçu dans un embouteillage parisien, en janvier dernier, un SUV électrique chinois. Après vérification, il s’agit (presque) à coup sûr de la marque MG, et du modèle ZS EV. Prix : 29 990 euros (1), mais hors le stupéfiant bonus « écologique », qui peut monter jusqu’à 6 000 euros tirés des caisses publiques. Ce n’est qu’un tout petit début, car une sorte de révolution régressive est en train de se produire, qui pourrait bouleverser l’empire mondial de la bagnole.

En 2019, devant les sénateurs, le patron de Renault, Jean-Dominique Senard, lâchait dans le vide : «// y a deux ans on en riait encore. […] Maintenant, on n’en rit plus. […] De grâce, essayons de nous projeter et de comprendre que si nous n’anticipons pas […] nous n’aurons que nos yeux pour pleurer dans quelques années. » Pronostiquant même un « tsunami chinois» de la bagnole électrique. Il faut dire que le bon Senard avait déjà connu la folie lorsqu’il dirigeait Michelin, les marques chinoises de pneus en Europe passant de 5 % à 30 % de parts de marché entre 2012 et 2018.

De son côté, France Stratégie, une petite structure de prospective rattachée au Premier ministre. Dans une vaste étude publiée en novembre 2020, on lit à la tête d’un chapitre : « La Chine pourrait envoyer l’industrie automobile européenne au tapis » (lire encadré). Rien que cela. À cause de la voiture électrique.

Et comme à l’habitude, c’est l’industrie occidentale elle-même qui prépare son suicide. Les américains Tesla et General Motors – le SUV Envision -, les européens BMW – le SUV iX3 – et Daimler – la Smart -, les français Renault – la Dacia Spring – et PSA, avec la DS9, font ou vont faire construire des bagnoles électriques en Chine. En espérant en fourguer une part sur le marché intérieur chinois, mais aussi en exporter : 400 000 voitures électriques produites en Chine devraient être vendues chaque année en Europe dès 2025. Et 90 % seront des marques «européennes ».

Qui va gagner?

On connaît le mythe éternel, chanté par Homère puis Virgile. Après avoir assiégé Troie pendant dix ans sans y entrer, les Grecs menés par Ulysse se cachent dans un grand cheval en bois harnaché d’or. Et pénètrent ainsi dans la ville, qu’ils conquièrent.

Non seulement le nombre de marques électriques chinoises explose – Aiways, BYD, Geely, NIO, Saic, Xpeng -, mais certaines ont d’ores et déjà racheté des marques comme l’anglais MG ou l’ancien suédois Volvo. Ce qui est un peu con, c’est qu’on n’a plus le Calvet des années 1990 (2).


  1. Les journalistes « automobile » sont, dans leur genre, hilarants. Petit film et poilade garantie : youtube.com/watch?v=0-dTOdLRrUk
  2. Jacques Calvet, alors patron de Peugeot, pleurait chaque matin sur « l’invasion » du marché européen par les bagnoles japonaises. Et obtenait ce qu’il voulait des gouvernants, de droite ou de gauche, entraînant notre beau pays dans la grande aventure du diesel et des 48 000 morts annuels par pollution de l’air.

L’analyse de France Stratégie

En novembre 2020, le prospectiviste public France Stratégie – il dépend du Premier ministre – résumait toute l’affaire à sa manière. Un pur régal.

« La Chine pourrait envoyer l’industrie automobile européenne au tapis. Si l’industrie automobile européenne a jusqu’ici réussi à se protéger de la concurrence chinoise grâce à l’instauration de barrières non-tarifaires [sic] normes sur la sécurité passive des voitures et sur leurs émissions de polluants atmosphériques -, l’avènement de la voiture électrique rebattrait potentiellement les cartes. L’architecture de la voiture devient, en effet, beaucoup plus flexible, le moteur électrique étant beaucoup plus compact, ce qui abaisse les contraintes sur les crash-tests que les constructeurs chinois n’avaient pas réussi à passer. Quant aux émissions de polluants atmosphériques de la voiture, cette contrainte disparaît avec les pots d’échappement […].

L’Union européenne a récemment décidé que les émissions de CO2 des voitures neuves devraient baisser de 50% entre 2021 et 2030, ce qui implique une électrification des ventes à marche forcée, avec une voiture vendue sur deux électriques dans dix ans. La motorisation va donc inéluctablement s’électrifier, sous des formes diverses – hybrides, batteries, hydrogène, etc. Pour les constructeurs motoristes, cet abandon de ce qui constitue le cœur de leurs compétences et de leur profitabilité est un déchirement affectif et un risque économique majeur. L’enjeu immédiat est la bataille pour les batteries, un marché dominé à 85% par l’Asie avec LG, Panasonic, CATL, BYD. Or les batteries constituent entre 30% et 50% du coût des véhicules électriques.»


Fabrice Nicolino. Charlie Hebdo N° spéciale. 01/06/2022


3 réflexions sur “Mort programmée

  1. bernarddominik 06/06/2022 / 8h23

    C’est l’UE qui se saborde les constructeurs automobiles européens ne peuvent qu’essayer de s’adapter.

    • Libres jugements 06/06/2022 / 11h29

      Bernard, la puissance financière de ces entreprises (PSA, Renault, Fiat, Volkswagen, entre autres) et leurs lobbys peuvent interférer sur les lois et orientations européenne.
      La gestion européenne comporte bien des défauts, mais il n’est pas nécessaire de tout lui mettre sur le dos, c’est un peu trop facile.
      Cordialement,
      Michel

  2. jjbadeigtsorangefr 07/06/2022 / 9h32

    Européenne, chinoise, la politique déterminée ne sera jamais que capitaliste et ce sera ce qui rapportera le plus qui sera retenu. Inutile de se battre la dessus, le fric commande et c’est à nous de le combattre………………

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