En prolongement du livre « La Familia grande »

La psychiatre Muriel Salmona (*), […] aide les personnes ayant subi des violences sexuelles, revient sur l’affaire Duhamel révélée par le livre de Camille Kouchner, “La Familia grande”.

Échange avec Muriel Salmona à quelques jours de la révélation de l’affaire Olivier Duhamel et avant que n’éclate celle du plasticien Claude Levêque visé par une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs.

  • Camille Kouchner, dans son interview à L’Obs, évoque vos livres, qui l’ont beaucoup aidée. Aviez-vous échangé ?

Non, c’était la surprise. Elle me connaissait par l’intermédiaire de mes écrits. Nous ne nous sommes pas encore rencontrées, mais elle a demandé à ce que je sois présente à ses côtés dans La grande librairie (1).

  • Parmi les victimes de violences sexuelles, les mineurs ont longtemps été mal pris en charge car peu entendus, peu crus…

Cela a été un très grand combat. On évoquait la maltraitance dont sont victimes les enfants, mais il y avait une omerta pour les violences sexuelles. On les oubliait. Il a fallu attendre la publication d’études très précises dans les années 2010 pour que cela commence à changer. Cliniquement, je constatais chez mes patientes qui subissaient des violences sexuelles adultes qu’elles en avaient souvent déjà subi enfant. Je n’ai jamais pu penser que les gens qui vont mal, sont dépressifs ou souffrent d’addictions le sont « pour rien ». Qu’ils « s’autodétruisent » sans raison. Il y a forcément quelque chose derrière.

 […]

  • Quel a été le déclic de votre engagement ?

Ce qui m’a porté et permis de continuer, ce sont des retours des patients et des victimes, après la création en 2009 de l’association Mémoire traumatique et victimologie (2).

J’ai commencé mon travail avec le gynécologue et militant des droits de l’homme Denis Mukwege. Comme il le rappelle souvent, « le discours du trauma et des victimes et particulièrement du trauma sexuel est universel, on le retrouve partout dans le monde ». Lui aussi était abasourdi de voir à quel point tout cela n’était pas entendu par les personnes censées secourir et prendre en charge les victimes. Nous menons depuis des projets à l’échelle internationale.

  • Comment expliquer qu’on reproche aux victimes de s’enfermer dans leur statut ?

L’Histoire a été écrite par les dominants. L’histoire des victimes a elle aussi été écrite, jusqu’à il y a peu de temps, par les dominants. C’est une histoire, atroce, d’écrasement total ; un piétinement total d’inversion cruelle contre les victimes. Camille Kouchner dit dans des interviews qu’elle « ne voulait pas se reconnaître comme victime ».  […]

  • Camille Kouchner dépeint les effets de l’inceste et du silence qui broie et détruit sa famille.

Dans le cas de l’inceste, il faut avoir en tête que la famille est un système fermé, dont l’enfant est absolument dépendant à tous niveaux : physiquement, émotionnellement, mais aussi concrètement au niveau de sa survie. Donc, du coup, il est absolument piégé. Même situation pour les enfants placés victimes de violences : ils sont eux aussi piégés dans des structures d’accueil et ne peuvent pas fuir ces violences. Les agresseurs ont leur cible et leur victime sous la main. Ils peuvent en user, exercer des violences sexuelles pendant des années et formater l’enfant, puisqu’ils ont tout pouvoir sur lui.

 […]

  • Sommes-nous à un point de bascule ? Entrons-nous dans l’ère « #MeToo des enfants » ?

La bascule commence à se faire. Les récentes révélations fracassantes, comme l’affaire Olivier Duhamel, concernent des violences sur des mineurs. Donc, oui, la prise de conscience est en train de monter en puissance. En cela, j’y crois. Après, il y a toujours un double discours sur l‘enfant qui serait très précieux, mais dont, en fait, on piétine les droits, particulièrement en France. Notre pays vient en cinquantième position pour l’interdiction de tout châtiment corporel : c’est fou ! La France, qui a aboli les privilèges, leur reste très attachée et protège les tout-puissants. Elle demeure très hiérarchisée dans la famille, dans le couple, à tous les niveaux.  […]

  • Le délai de prescription est maintenant de trente ans après la majorité. Mais la loi n’est pas rétroactive. Doit-on légiférer ?

Le signal en matière d’impunité n’est pas le bon.  […] …bien entendu qu’on peut changer la loi. Il n’y a aucun obstacle à mettre en place les éléments sur l’imprescribilité : c’est d’ailleurs ce qu’avait conclu la commission coprésidée par Flavie Flament en 2017 [qui a révélé avoir été violée par le photographe David Hamilton, ndlr]. C’est possible, cela se fait dans plusieurs pays. Dans les cas d’amnésie traumatique par exemple, il y a des articles de lois qui permettraient de lever la prescription.  […]


Emmanuelle Skyvington. Télérama. Source (Extrait)


(*) Muriel Salmona, psychiatre, […] reconnue internationalement pour ses analyses et les soins à apporter aux victimes, travaillant avec le gynécologue-obstétricien Denis Mukwege (Prix Nobel de la paix 2018, il soigne les femmes victimes de viol de guerre en République du Congo), elle est de plus en plus citée par des victimes, comme Camille Kouchner qui vient de révéler, dans son livre La Familia grande, l’inceste subi par son frère jumeau par leur beau-père Olivier Duhamel.

  1. L’émission littéraire de François Busnel, mercredi 13 janvier à 20h50, sur France 5.
  2. Plus de renseignement sur “Mémoire traumatique et victimologie”.
  3. Lire  le travail de Michael Salter.

2 réflexions sur “En prolongement du livre « La Familia grande »

  1. jjbey 13/01/2021 / 9h39

    Les premiers pas sont les plus difficiles mais ça progresse et la sanction tombera sur ces criminels aux comportements imprescriptibles. Il n’y a pas de réparation pour les dégâts commis, il ne doit pas y avoir des prescription pour juger les coupables.

  2. bernarddominik 13/01/2021 / 9h59

    Pour tout ce qui est atteinte aux personnes (viols crimes mutilations blessures graves) je suis contre la prescription. Et je pense que dans certains cas le décès du bourreau ne doit pas éteindre les poursuites. La victime garde ses blessures il n’y a aucune raison pour que le coupable, lui, s’en tire sans sanction, de plus lorsque le décès arrête les poursuites, les héritiers empochent l’héritage parfois constitué des rapines du coupable, et sans que les victimes soient indemnisées. La loi doit être modifiée.

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