L’ombre de Jean Castex … c’est lui !

Malgré une ébouriffante famille philosophico-littéraire, un parcours rectiligne : le directeur de cabinet de jean Castex ne sera jamais « Nicolas Rebelle ».

Nicolas Revel

Dessin de Kiro – Le Canard Enchaine – 29/07/2020

C’est un homme qui ne se fâche jamais avec ses anciens patrons et condisciples, ce qui est une grande qualité. Prudence, prudence. « Macron le voulait à tout prix, c’est une pièce maîtresse du remaniement », assure un député LR-EM. Tous deux à l’Elysée sous Hollande, ils s’entendaient comme larrons en foire et avaient fini par avoir la peau de leur trop débonnaire patron, le secrétaire général de l’Elysée Pierre-René Lemas. Voilà qui crée des liens.

Depuis, Macron n’a cessé de vouloir reconstituer la fine équipe. Nicolas, un poste de secrétaire général de l’Elysée, ça te brancherait ? Et, succéder à Collomb, non, ça ne te dit toujours rien ? Il sait admirablement dire non sans froisser, et se faire attendre. Il a maintenant ce qu’il veut, il est la tour de contrôle de Matignon, rien ne lui échappera. Jean Glavany, qui repéra ce jeune fonctionnaire de la Cour des comptes dans les Hautes-Pyrénées, en fit un membre de son cabinet quand il devint ministre de l’Agriculture du gouvernement Jospin. « J’ai beaucoup d’estime pour lui. »

Glavany le présente à Delanoë en 2003, et le nouveau maire de Paris en fait son principal collaborateur. « La crème des hauts fonctionnaires », dit Delanoë. « Cash et compétent », dit Macron, qui l’a connu sous Hollande. Le nouvel homme fort de la Macronie, directeur de cabinet de Jean Castex, n’a donc que des qualités, même la modestie, puisqu’il se décrit sans passion excessive : « Un honnête artisan, un peu besogneux, mais pas nul. » Un rien forcé peut-être, mais gentiment tourné.

Bouffeur de dossiers

Il faut le voir, pourtant, face à la presse, froid comme un glaçon mais souriant, maîtrisé tout en ayant du mal à accepter la contradiction, vite agacé par une phrase mal construite, une approximation, une redondance. « Il manie rapidement l’ironie, un rien de cruauté et une certaine forme de déstabilisation face à l’interlocuteur qu’il perçoit comme un peu flottant. Avec lui, il ne faut pas être catalogué comme un esprit lent, car il est toujours dans le rapport de force », se souvient un camarade de la Cour.

Nicolas Revel n’est pas ce qu’on appelle un rigolo. Les dossiers, il les bouffe, et, plus c’est technique et ardu, plus il aime ça. A la Mairie de Paris, il est aux manettes après la défaite de Tiberi. Il y a beaucoup à faire, il est submergé. Gestion de la majorité, nunicipalisation de l’eau, lancement des Vélib’, il n’arrête pas. « C’est un drôle de mec, qui avance comme un char Leclerc. Le chef donne un ordre, et il agit comme un soldat, rien ne le fait dévier, il ne veut rien savoir, à condition d’être couvert par le patron, bien sûr », se souvient un ancien de l’équipe Delanoë.

Revel eut une vie avant de devenir soldat. Il flotte un peu — « Je suis allé doucement vers l’ENA sans trop le vouloir, c’est mon père (l’essayiste et philosophe Jean-François Revel) qui m’a poussé » — et, à Sciences-Po, il donne dans le genre potache convenu, dirige un petit club spécialisé dans la blagounette baptisé « Les Aristocrates libertaires », fait part à quelques condisciples de son intérêt pour Jean-Edern Hallier.

Le journalisme l’attire, mais il renonce vite : « Je n’aurais jamais eu le talent et l’originalité intellectuelle de mon père. » Il a donc trouvé sa voie, le service de l’État. Pas une seule incursion dans le privé en trente ans de carrière, ce qui est rare pour un énarque de cette génération issu des « grands corps ».

C’est un soldat de la fonction publique, mais « de gauche », assurent tous ses amis, même s’ils peinent à expliquer ce qui le différencie véritablement de Jean Castex, lui aussi membre de la Cour des comptes. « Il est moins obsédé par le dogme de Bercy et la maîtrise des comptes que ne l’était son prédécesseur, Benoît Ribadeau-Dumas, ce qui n’est franchement pas difficile », se marre un ex-conseiller ministériel.

Buzyn, c’est lui

A l’Assurance-maladie, qu’il a dirigée pendant cinq ans, il a mis en avant ses bons résultats financiers (presque 6 milliards de déficit en 2015, à peine plus de 1 milliard en 2018), déclenchant le scepticisme de certains. « Revel n’a fait aucune réforme de fond, il a surtout bénéficié de la baisse du chômage, qui a commencé à la fin des années Hollande, et donc de la rentrée des cotisations », rigole un fonctionnaire du ministère de la Santé. « Il a été, comme d’habitude, d’une grande prudence, ne s’attaquant jamais à Buzyn, qu’il avait présentée à Macron », poursuit le même.

Détestant s’afficher et très réticent à parler de sa célèbre famille, de son père, de sa mère, la détonante journaliste Claude Sarraute, de sa grand-mère l’écrivain Nathalie Sarraute ou de son demi-frère, Matthieu Ricard, il s’est toujours montré méfiant envers les grands mots et les formules qui claquent. « Les véritables héros sont tous morts, tombés au champ d’honneur, tombés surtout dans l’oubli », a-t-il un jour confié à « Libération », reprenant l’écrivain Javier Cercas. Lucidité désenchantée ou ligne de conduite ?

Prudence, prudence…


Anne-Sophie Mercier le Canard enchaîné. 29/07/2020


Une réflexion sur “L’ombre de Jean Castex … c’est lui !

  1. bernarddominik 27/08/2020 / 11h33

    La république a été confisquée par ces hauts fonctionnaires. Il faudra un jour rendre le pouvoir aux électeurs en interdisant à ces gens toute interaction avec les élus et les entreprise. Ils doivent être au service de l’état, pas de particuliers

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