Technologie et Écologie, fausses idées et vraies batailles ?

En finir avec le pétrole et les gaz à effet de serre : telles sont les promesses de la voiture électrique. Mais l’enthousiasme actuel occulte les nouvelles pollutions et les dépendances géopolitiques que cette révolution implique. Car, grâce à son monopole de certaines matières premières, la Chine pourrait devenir la capitale mondiale de l’automobile.

«Vive la voiture électrique ! », proclamait dès 2009 M. Carlos Ghosn, président-directeur général (PDG) du groupe Renault (1). « Vous pourrez rouler gratuitement, pour toujours, grâce aux rayons du soleil », abondait en 2013 M. Elon Musk, celui du groupe américain Tesla (2).

En Chine, le premier ministre Li Keqiang vante l’arrivée de ces nouveaux véhicules comme un moyen de « renforcer la croissance économique et de protéger l’environnement (3)  ». L’intérêt pour l’électromobilité renaît ainsi, plus d’un siècle après le record de la Jamais-Contente, une voiture électrique qui fut la première automobile à dépasser la vitesse de cent kilomètres par heure, à Achères, en île-de-France… en 1899. […]

[…] En attendant que la pile à combustible suscite […] l’enthousiasme, la traction électrique est présentée aujourd’hui comme la technologie de substitution par excellence. […]

Selon un récent sondage, plus de huit Français sur dix estiment que les voitures 100 % électriques permettent de réduire l’impact environnemental de la mobilité (4). Ce que confirme la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), créée par M. Nicolas Hulot, […] selon laquelle « les atouts environnementaux du véhicule électrique sont intrinsèquement liés à la mise en œuvre de la transition énergétique (5)  » — en dépit de l’existence d’analyses beaucoup plus sombres (lire « Un bilan litigieux »).

Incitations fiscales et soutiens à l’innovation

L’annonce par la Chine, en septembre 2017, de l’élaboration d’un calendrier visant à interdire la commercialisation des véhicules à essence, sans doute à l’horizon 2030-2040, a envoyé un signal décisif, repris dans la plupart des pays occidentaux. L’Allemagne et les Pays-Bas ont prévu le bannissement de la vente de voitures thermiques dès 2025. En France, […] l’objectif est à l’horizon 2040.

En Inde, le gouvernement ne veut pas qu’« une seule voiture à pétrole ou à gazole » soit commercialisée après 2030. Les grandes villes jouent souvent le rôle d’aiguillon : en 2017, les édiles d’une douzaine de métropoles, telles que Paris, Los Angeles, Auckland et Le Cap, se sont engagés à n’acquérir que des bus zéro émission d’ici à 2025, et à interdire les émissions de dioxyde de carbone dans des zones importantes de leurs cités d’ici à 2030  (6). […]

Encore faut-il mailler le territoire de bornes de recharge […]  

Cette conversion parée de vertus écologiques assure de nouveaux relais de croissance. Même si les automobiles électriques ne représentaient que 1 % du marché mondial des voitures en 2017 (et les hybrides, 1 % également), leurs ventes en France ont connu une croissance de 17 % cette année-là, tandis que l’ensemble des ventes automobiles progressaient de moins de 5 % (7).

L’augmentation des capacités de stockage des batteries, l’effondrement de leur coût de production et la diversification des modèles proposés concourent à ce que les véhicules partiellement ou totalement électriques représentent, selon les plus optimistes, 43 % des ventes en Europe d’ici à 2025, et 36 % en Chine (8), pour un marché mondial estimé à 82 milliards d’euros.

Panacée écologique, source de richesses et d’emplois : à première vue, la conversion au « tout électrique » relève de l’évidence. […]

[…]… [Le] groupe PSA ne veut pas que « dans trente ans on ait découvert les uns ou les autres quelque chose qui n’est pas aussi beau que ça en a l’air ». Il cite les problèmes liés au recyclage des batteries ou à la « gestion des matières premières rares » (9). […]

[…] Aujourd’hui largement tributaires du pétrole, nos modes de transport pourraient se révéler de plus en plus dépendants d’une trentaine de métaux rares. Gallium, tantale, cobalt, platinoïdes, tungstène, terres rares : une mine ne recèle que d’infimes quantités de ces petits métaux dotés de fabuleuses propriétés électroniques, optiques et magnétiques. Sans eux, la quasi-totalité des véhicules électriques commercialisés resteraient à l’arrêt.

Ainsi, on retrouve jusqu’à trois kilogrammes et demi de terres rares — une classe de quinze métaux — dans les électro-aimants, de dix à vingt kilogrammes de cobalt et jusqu’à soixante kilogrammes d’un minerai moins rare, le lithium, dans la batterie d’une seule voiture. Un autre, le cérium, est apposé sur les pare-brise afin d’éviter les rayures. Dans l’habitacle, les écrans à cristaux liquides contiennent de l’europium et du cérium…

Or l’extraction et le raffinage de ces matières relèvent de processus très polluants.

Cette réalité saute aux yeux en Chine, pays producteur de la grande majorité de ces ressources. Première zone mondiale d’extraction et de raffinage des terres rares, la région autonome de Mongolie-Intérieure, au nord-ouest de Pékin, est dévastée par les mines à ciel ouvert. Aux abords des usines du géant minier Baogang, dans l’ouest de la région, un immense réservoir artificiel, le Weikuang Dam, déborde par intermittence dans le fleuve Jaune (Huang He) après avoir recueilli les effluents toxiques des usines de traitement des minerais. […]

[…] La purification d’une tonne de terres rares contamine au moins deux cents mètres cubes d’eau (10). Les agriculteurs et les habitants des régions minières sont donc soumis à un fort stress hydrique. Au Chili, premier producteur mondial de cuivre, le déficit d’eau est tel qu’il devrait conduire les groupes miniers à utiliser, d’ici à 2026, 50 % d’eau de mer dessalée (11) — un processus extrêmement énergivore.

Les cas de pollution générée par l’extraction et le raffinage des métaux rares s’observent au Chili, en République démocratique du Congo (RDC), aux États-Unis ou encore au Kazakhstan, et révèlent un surprenant paradoxe : la mise en service de véhicules vantés pour leur propreté nécessite l’extraction de métaux sales — mais loin des yeux et des caméras. […]

[…] « Le peuple chinois a sacrifié son environnement pour nourrir la planète entière avec des terres rares », admet Mme Vivian Wu, spécialiste des terres rares, qui travaille dans une branche chinoise du chimiste Solvay. Il faut dès lors apprécier avec beaucoup de circonspection les voitures « propres » ou véhicules zéro émission vantés par les industriels.

Une automobile électrique ne rejette certes pas de carbone à l’instant où elle roule ; mais son impact environnemental a été déplacé en amont de sa mise en service, dans les régions où sont extraits, raffinés et incorporés les matériaux qui la composent.

On songe à Metropolis, la ville imaginée par le cinéaste Fritz Lang dans le film du même nom (1927), où les classes laborieuses respirent des fumées toxiques pour produire les richesses de classes bourgeoises choyées et indolentes. […] 

——[…] ———-


Guillaume Pitron – Journaliste, auteur de La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui libèrent, Paris, 2018.  – Le Monde Diplomatique – Titre original : « Voiture électrique, une aubaine pour la Chine » – Source (Extrait)


Note il est possible que des Ref. soient manquantes en fonction des § en extraits

  1. « La voiture électrique : fantastique ou polémique ? », Codeclic, 28 septembre 2009.
  2. Adam Vaughan, «Elon Musk : Oil campaign against electric cars is like big tobacco lobbying », The Guardian, Londres, 24 octobre 2013.
  3. Manny Salvacion, «Premier Li urges creation of more charging sites for EV », Yibada, octobre 2015.
  4. (4) «Les Français et l’impact environnemental de leurs déplacements » (PDF), Harris Interactive, Paris, février 2018.
  5. «Le véhicule électrique dans la transition écologique en France » (PDF), Paris, décembre 2017.
  6. «Déclaration du C40 pour des rues sans énergie fossile » (PDF), C40 cities, 2017.
  7. Selon le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA).
  8. «Future of e-mobility », Discussion Document, Roland Berger, Munich, 23 janvier 2018.
  9. «Imposer la technologie du véhicule électrique est une folie, estime Carlos Tavares », Autoactu, 13 septembre 2017.
  10. Oscar Allendorf, «Dwindling supplies of rare earth metals hinder China’s shift from coal », TrendinTech, 7 septembre 2016.
  11. Juan Andres Abarca, «Seawater use in Chile’s mines grows by a third », BNAmericas, 16 juin 2016.
  12. Lire Olivier Zajec, «Comment la Chine a gagné la bataille des métaux stratégiques », Le Monde diplomatique, novembre 2010.
  13. Communication de la Commission européenne relative à la liste 2017 des matières premières critiques pour l’Union européenne, Bruxelles, 13 septembre 2017.
  14. Voir le rectificatif dans le numéro de septembre.
  15. Muryel Jacque, «Glencore n’hésiterait pas à vendre ses mines de cobalt à la Chine », Les Échos, Paris, 21 mars 2018.
  16. Jean Savary, «Voiture électrique, un nouveau fiasco environnemental ? », Caradisiac, 12 mars 2018.

3 réflexions sur “Technologie et Écologie, fausses idées et vraies batailles ?

  1. jjbey 01/09/2018 / 23h54

    Je pensais pouvoir utiliser les bœufs de la ferme familiale mais il parait qu’ils rejettent du CO2. Merde alors. La grande illusion est de croire que des activité humaines peuvent ne pas avoir d’impact sur l’environnement. Les moins disantes côté pollution restent à découvrir et seule l’énergie nucléaire sort du lot. Bonjour les poubelles. Alors il faut se tourner vers l’hydro-électricité oui mais il faut construire les barrages, les usines marée motrice , une seule existe en France qui fonctionne toujours malgré ce qu’en disaient ses détracteurs……..Vaste problème que celui de l’énergie dont les solutions présentées ne sont souvent que des palliatifs gourmands en Co2. Mais ce qui est certain c’est que les batteries ne sont pas une solution. Alors l’hydrogène? Laissons nous le temps de la réflexion.

  2. fanfan la rêveuse 02/09/2018 / 9h49

    Bonjour Michel,
    La voiture électrique l’avenir ! Pas en terme d’environnement, je suis parfaitement en accord avec cette publication.
    Qu’allons nous faire dans l’avenir des batteries usagées ?
    Comment compenser la demande augmentante d’électricité en ce cas ? En faisant de nouvelles centrales que nous ne savons pas gérer dans leurs vieillissements ? Je ne pense pas que l’éolien suffise. Whouai…
    Un nouveau marché qui s’ouvre, voilà à quoi cela me fait penser, mais pas écolo !
    D’ailleurs y a t’il vraiment une solution écolo, je ne crois pas, des attitudes qui pourraient mener à la baisse des déchets polluants, oui certainement.
    Bon dimanche à vous Michel ! 🙂

    • Libres jugements 02/09/2018 / 11h48

      Merci Françoise pour cette appréciation.
      N’oublions pas dans le même temps et même si cela se produit dans d’autres régions, d’autres pays que le notre (Rappelons que sans la vigilance de certains, d’immenses zones d’extractions des sables bitumeux extrêmement polluantes faillirent être autorisées en France – Notamment en Ardèche et Gard) que ces derniers malheureux autochtones étrangers possesseurs dans leur sol de métaux rares, dont en générale ils ne tirent aucun profit; ni pour le bien être du pays, mais leurs apportent des nombreuses maladies.

      Bon W.E. Françoise ainsi qu’à toute la famille
      Michel

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