Les ingénieurs inspectent le plastique

Il suffit de lire de traviole, et à cette condition, n’importe quel rapport officiel peut être drolatique.

Si. Juré. Ouvrons ensemble celui de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) (1). Ne nous noyons pas dans le détail, et disons que cette structure aussi neuve que bureaucratique inspecte. Les ingénieurs d’État, notamment ceux des Ponts et du génie rural, y jouent un rôle prépondérant.

Sans vaine polémique, les prédécesseurs de ces nobles personnages nous ont légué le programme autoroutier, les barrages sur les rivières, les châteaux d’eau et les ronds-points, le béton armé et les charmantes cités pourries de toutes les banlieues. De son côté, le génie rural a tué les campagnes par le remembrement, en arasant des centaines de milliers de kilomètres de talus boisés, en aidant à la diffusion massive des pesticides via les directions départementales de l’agriculture qu’ils dirigeaient. Pierre Ailleret, ingénieur des Ponts, est tenu pour le père du programme électronucléaire.

Ouvrons donc ce travail consacré à « la pollution par les micro-plastiques d’origine textile (1) ». Nos ingénieurs constatent « un contexte d’augmentation constante de la production mondiale de plastique (+50 % depuis 2000) et des déchets qui en découlent (+50 % depuis 2000 soit une augmentation de 156 millions de tonnes (Mt) à 353 Mt) ». Non, ce n’est pas encore le moment de rire, quoique. 353 millions de tonnes pour la benne, l’incinérateur, la décharge, le corps et le sang de tous les humains.

– Pourquoi insister dans ces conditions sur le textile ? C’est qu’il « est le 3ème secteur à utiliser du plastique (14,2 % après les emballages et les bâtiments) et à émettre des micro plastiques ». Et du même coup, la « contamination de tous les écosystèmes même les plus isolés » est si établie qu’elle « ne fait pas débat ». Arrêtons notre lecture de concert une seconde, car tout de même. En résumé, c’est la merde la plus totale. Mais les ingénieurs ont trouvé la solution : il faut « agir sans tarder en application des principes de précaution et de prévention ».

Une mention pour la langue constamment euphémisée de notre beau rapport. Son ou ses rédacteurs savent comment tourner les faits sans qu’ils leur retombent jamais sur le nez. Ainsi, ne pas dire que leurs bons maîtres n’ont strictement rien branlé. On écrira plûtôt que « les mesures normatives déjà adoptées au niveau européen et national peinent à répondre à cette pollution ».

Le résultat – l’un des innombrables résultats de ce vaste bobinard -, c’est que «79 % des micro plastiques entrant dans la station d’épuration finissent dans les boues ou encore que l’on compte entre 1 000 et 300 000 microparticules de plastique dans 1 kg de boues d’épuration ».

Précisons que ces boues sont vendues à des « exploitants agricoles » pour amender leurs champs et charger légumes et céréales de quelques ajouts. Or, amis lecteurs, ainsi que l’écrit Charlie depuis des années ici même, « les micro-plastiques sont également le véhicule potentiel d’autres contaminants (métaux lourds, bactéries, produits pharmaceutiques) qui sont transférés dans les sols et impactent leur qualité en tant qu’écosystème ».

Mais voilà qu’on oublie que tout a été commandé par le ministre de l’Écologie, Christophe Béchu, qui note avec un sens de l’humour dévastateur dans sa lettre de mission qu’il s’agit d’évaluer « dans quelle mesure les dispositions […] de la loi du 10 février 2020 [. .1 permettront de réduire significativement la pollution [. . .] par les microfibres de plastique ». Le fera-t-on ? Comme les mêmes annoncent déjà – voir plus haut – que la production de plastique a augmenté de 50 % depuis 2000, on est en droit, cette fais ça y est, de rire aux éclats.

Le concours de bouffonnerie étant ouvert, il est hautement probable que cette histoire y figurera en bonne place. Car enfin, n’est-ce pas un immense aveu d’impuissance ? Il y a avalanche de microplastiques, qui génèrent une pollution tous azimuts, mais rien n’est possible. Rien n’est possible, car l’industrie commande, et les nains de jardin obéissent.


Fabrice Nicolino. Charlie Hebdo.  27/03/2024


  1. tinyurl.com/54hncr52

Une réflexion sur “Les ingénieurs inspectent le plastique

  1. tatchou92 04/04/2024 / 22h27

    « faut-il pleurer, faut-il en rire… »

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