Des filons d’Or et des filous

Tout ce qui brille n’est pas or, dit la sagesse populaire.

Mais tout ce qui est or n’est pas brillant, ajoute le constat objectif : des mines aux labels, le commerce du métal précieux est tout sauf reluisant.

Alors que la foire annuelle des amoureux [la St Valentin] procure aux marchands de bijoux une opportunité de se faire des gonades 24 carats, le commerce mondial de l’or s’illustre de façon peu romantique, entre exploitations dantesques, pollutions massives et promesses hypocrites.

En tout, près de 5 000 tonnes de métal jaune sont arrachées au sol chaque aimée. Et la moitié environ de ce butin, d’une façon ou d’une autre, transite par la Suisse. Laquelle préfère ne pas regarder de trop près les réalités de l’extraction, cachées au besoin sous des labels trompeurs.

Ainsi la « mine de I’horreur » mal nommée La Esperanza, Pérou a-t-elle fait tragiquement parler d’elle en mai 2023, quand 27 mineurs y ont trépassé dans un incendie.

L’accident a révélé les négligences criminelles de Sermigold, sous-traitant de la société minière locale Yanaquihua (MYSAC) : galeries mal protégées, aucun système d’alarme, pas de dispositifs anti-feu, pas de plan d’évacuation, pas de signalisation des voies de sortie, pas d’abris de sécurité équipés, pannes d’électricité à répétition…

Pire, des explosifs et des détonateurs étaient stockés sans protection dans les galeries. Le sinistre de mai 2023 ne les a pas atteints, par chance : le carnage aurait été plus terrible encore.

Le spécialiste se barre

Par ailleurs aucun ingénieur de sécurité n’était présent la nuit du drame, en violation des consignes : le préposé avait fait défection après ses vacances… Tant de je-m’enfoutisme n’a laissé aucune chance aux ouvriers piégés, qui n’étaient pas les premiers : de 2011 à 2022, pas moins de 196 accidents ont grièvement blessé des mineurs à La Esperanza, et trois d’entre eux ont été tués par l’écroulement d’un boyau.

Mais malgré les appels répétés des travailleurs, ni l’exploitant MYSAC ni son sous-traitant n’ont jamais rien entrepris pour remédier aux défaillances, Pour sécuriser un peu l’extraction d’or on n’allait pas dépenser de l’argent, tout de même.

De l’éthique plaquée toc

De ces pénibles réalités andines aux cossus bureaux helvétiques, les liens sont serrés. D’abord, tout l’or déterré par la société MYSAC est confié à la raffinerie suisse Metalor. Laquelle, en tant qu’acheteuse unique, devrait s’intéresser aux conditions d’extraction de son métal jaune.

Mais elle s’en balance, dirait-on. Ensuite, l’or est fourgué par Metalor à UBS, ainsi qu’au joaillier genevois Chopard et à l’horloger de luxe Breitlhig_

Or, attention, il faut le lire vite, ces enseignes prestigieuses se targuent de commercialiser du métal précieux exempt de tout reproche éthique.

En décembre 2021, UBS a en effet déclaré qu’elle s’approvisionne en or issu d’exploitations péruviennes parfaitement durables. Avec, à l’appui de cette noble promesse, une jolie photo de l’entrée de la mine La Esperanza. Une image devenue tristement célèbre, puisqu’elle a illustré de nombreux articles sur la catastrophe de 2023 et sur les manquements de l’exploitant, UBS a bonne mine.

La maison Chopard s’est illustrée, elle aussi, dans le registre vertueux, son directeur financier et sa responsable du développement durable y ont posé en 2021 avec le patron de Metalor et avec la copropriétaire de MYSAC. Tous étaient très souriants.

Quant à la société Breitling, elle a prétendu sans rire, après l’accident, que la mine avait été dûment et régulièrement contrôlée. C’était juste la faute à pas de chance, quoi. Les parents des victimes et les autres ouvriers de La Esperanza ne sont pas du tout de cet avis, mais qu’importe : ils sont peu susceptibles de s’offrir une Breitling.

Conseil irresponsable

Pour justifier leur louable sensibilité éthique, ces dignes entreprises invoquent un label international mis en avant par l’industrie joaillère. Titillée par d’innombrables scandales, des crimes de guerre au travail d’enfants en passant par les pollutions graves, celle-ci a créé le Responsible Jewellery Council (RJC), censé garantir la provenance respectable des métaux précieux et des gemmes. Or c’est du pur flan.

Le label, d’ailleurs critiqué même au sein de la branche, a été décerné à des rubis dont le commerce finance le régime sanguinaire du Myanmar, ou a de roi éthiopien dont l’extraction empoisonne méchamment la population… C’est dire si le caractère éthique du RJC a tout d’une légende, même pas dorée.

Le label cache les forets

En Suisse, l’industrie de l’or a voulu redorer son blason grâce à la Swiss Better Gold Initiative (SBGI). Un machin complaisamment financé à coups de millions par la Confédé­ration via son Secrétariat d’État à l‘économie (SECO), donc en bonne partie par le contribuable. Lequel sera ravi d’apprendre que la SBGI a, des années durant, présenté la mine La Esperanza comme un modèle merveilleux. Bravo, bien vu.

En fait, il est apparu après la tragédie que la SBGI n’a jamais vérifiée quoi que ce soit sur place, elle s’est contentée de faire confiance au pseudo-label RJC et hop, a certifié d’un coup toute la production de la mine. Ce qui permet à Metalor, UBS, Chopard et Breitling de frimer avec leur or prétendument irréprochable, en montrant leur vertu à tous les passants.

Pour ne rien arranger, le déficient label SBGI ne couvre que 0,1% du métal jaune traité en Suisse. On devine à quel point les 99,9% restants sont salissants. Mais l’essentiel, évidemment, reste de faire des affaires en or.


Laurent Flutsch. Vigousse. 21 fev 2024


Merci à nos amis suisses pour nous avoir indiqué cet article.


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