Des bruits de bottes avec des grelots

On sait désormais comment l’extrême droite a survécu à son grand reflux, pendant les longues années d’après-guerre : en se faufilant comme des skinheads dans le Paris des années 1980, au milieu des autres contre-cultures.

Il ne faut jamais oublier d’où vient Alain Soral, coauteur des « Mouvements de mode expliqués aux parents » : il a longtemps observé la faune des Halles. Une décennie plus tard, à l’apogée de la télévi­sion, on retrouverait quelque chose de cette expérience sociologique primitive en invi­tant, à commencer par Soral lui-même, quelques figures d’extrême droite pour pimenter les émissions de débat.

Eric Zemmour n’est pas apparu autrement que comme un élément de folklore masculiniste sur les plateaux de nuit Que serait la boîte d’un bouquiniste sans son Rebatet ou son Brasillach ? L’extrême droite était alors considérée comme quelque chose de plus divertissant que dangereux.

Tout cela paraît loin et très déraisonnable. Cependant, il m’arrive encore de regarder CNews comme on écouterait Rire et Chansons, pour voir quelle sorte de sketch ces comiques-nés que sont les intellectuels d’extrême droite ont encore préparé, dans cette réalité alternative où Pascal Praud serait Jacques Martin, et Geoffroy Lejeune, Patrick Timsit.

Les bruits de bottes, oui, mais avec des grelots ridicules.

Je suis ainsi tombé sur une séquence hal­lucinante l’autre jour, avec l’un des théoriciens les plus conséquents de la survie possible de l’extrême droite comme folklore : Philippe de Villiers, celui qui aura, en pleines années Mit­terrand, construit un pays imaginaire appelé Puy du Fou. J’avais longtemps négligé le sérieux du projet.

L’homme, tout pittoresque qu’il était, demeurait essentiellement un communicant politique d’ex­ception – pour preuve ce livre, retrouvé derrière une rangée de ma bibliothèque et consulté autrefois pour écrire un roman, « les Mosquées de Roissy », qui entendait démontrer que l’aéroport était en réalité une plateforme intermodale de conversion de la chrétienté à l’islam.

Je passe sur la période plus récente qui a vu le candidat Macron venir baiser l’anneau de cet évêque avant de lancer sa candidature de 2017, pour en arriver à ce sketch, dément, diffusé l’autre jour par CNews.

Philippe de Villiers commentait des pro­pos de son avocat Gilles William Goldnadel, et paraissait, tout juif que le second était disposé à lui pardonner la crucifixion de son dieu. Une cause plus noble — la survie d’Israël ou la destruction de Gaza, je n’ai pas exactement compris — les réunissait soudain.

Ce qui était singulier c’est que Villiers ne parlait ni de la Palestine ni d’Israël, mais utilisait cette formule aberrante de « France du Levant »: on sentait qu’avant tout, là-bas, c’était, pour l’éternité, le pays des croisades. Le concept de « France du Levant » permet­tait surtout à Villiers de désigner la métro­pole, crépusculaire, du terme inquiétant de « France du Couchant ».

Sur ce, dans une envolée lyrique, Villiers embarquait Goldnadel dans son histoire contrefactuelle : les deux idéologues étaient des frères d’armes dans la bataille pour l’Occident, et Villiers s’imaginait courant au secours de Goldnadel dans sa tranchée. Avant, troublante image, de dresser autour de lui, et de leur amitié naissante entre hommes de l’Ancien et du Nouveau Testament, d’imaginaires barbelés d’où l’extirper délicieusement Folie.


Aurélien Bellanger. L’Obs N° 3099. 22/02/2024


Une réflexion sur “Des bruits de bottes avec des grelots

  1. tatchou92 26/02/2024 / 16h00

    « Aux armes Citoyens »..

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