Ni l’Art ni la manière…

… mais dix milliards de sabords !

Une politique d’austérité « serait une erreur », prêchait encore cet été le ministre de l’Économie. La dette venait alors pourtant de franchir allegro la barre des 3 000 milliards d’euros. Et elle a continué d’augmenter.

Fin septembre, elle montait à 3 800 milliards… Les chiffres définitifs pour l’année écoulée ne seront connus qu’à la fin de ce mois, mais l’austérité n’est plus une erreur, c’est une actualité. Et, par décret, elle deviendra même, dès cette semaine, une possibilité.

C’est ce qu’a laissé craindre le même Bruno Le Maire, qui a révisé à la fois son discours sur le sujet et ses prévisions de croissance pour 2024. Adieu les 1,4 % claironnés à l’automne dernier dans le projet de loi de finances ; finalement, ce sera 1 % seulement.

Ce n’est pas vraiment une surprise, puisque dès le mois d’octobre la Banque de France tablait déjà plutôt sur le chiffre plus modeste de 0,9 %, mais c’est suffisant pour annoncer solennellement un dimanche soir à la télé la nécessité de « se serrer la ceinture ».


Ce serrage est fixé à 10 milliards sur les 500 du budget, mais, attention, ce geste sera fait « pour les Français » et non à leur encontre. Et il s’agit juste de « faire des économies substantielles ». Et, même si on peut y trouver pas mal d’airs de ressemblance, ce n’est pas de l’austérité, promis-juré !

La moitié du sacrifice sera demandée aux ministères eux-mêmes, qui « dès la semaine prochaine » vont devoir « reconstruire leurs budgets » et s’imposer au plus tôt un cran de ceinture à 5 milliards d’euros, faute de quoi ils se feront remonter les bretelles. Même imposé, ce sens de l’abnégation de l’État, c’est beau.

Tous ces gestes « dans l’intérêt des Français », et aussi un peu pour éviter les craintes des paysans sur les 400 millions qui leur ont été promis, et de les énerver juste avant le Salon de l’agriculture, c’est vraiment gentil. Toutes ces économies de masse salariale, de recrutement, de déplacement dans chaque ministère pour éviter d’augmenter les taxes ou les impôts, ou de « toucher au budget de la Sécurité sociale », c’est grand, très grand, voire un peu gros.

Au point que certains ont du mal à y croire vraiment.

D’autant que, comme souvent au pays du « en même temps » qu’est la Macronie, on a l’impression d’entendre tout et son contraire. Un jour l’austérité est une erreur, le lendemain la voilà nécessaire.

Un jour le Premier ministre annonce : « J’ai décrété l’urgence pour le logement en France » et « Nous allons accélérer notre tran­sition écologique », et, au même moment ou presque, son ministre de l’Économie vient expliquer que « l’économie ralentit » et que, dans les 10 milliards à raboter, le dispositif de rénovation de l’habitat MaPrimeRénov’ et le ministère de la Transition écologique seront mis à contribution de manière drastique…

On s’y perd un peu dans les contradictions, mais, ce qui est clair, c’est qu’au-delà des impératifs des agences de notation, qui ne sont évidemment pas pour rien dans ce serrage de ceinture annoncé, puisque Bercy s’était engagé à des économies, c’est le « quoi qu’il en coûte » qui commence à coûter.

Et qui, avec des taux qui ont grimpé et alourdissent le remboursement d’une dette qui s’est gravement alourdie annonce en France comme en Europe une vague de restrictions budgétaires qui a de quoi faire sérieusement redouter l’« erreur » de l’austérité.


Éditorial d’Erik Emptaz. Le Canard enchaîné. 21/02/2024


2 réflexions sur “Ni l’Art ni la manière…

  1. bernarddominik 23/02/2024 / 18h12

    Bruno Le Maire manque de logique change de saint toutes les semaines. Pourtant la réalité est là avec un budget en déficit 40% la France court à la faillite, augmenter les impôts quand 58% de la richesse produite est pompée par l’état et l’UE paraît difficile.
    En réalité ce n’est pas 10 milliards qu’il faudrait économiser mais 140, et encore ne ferait on pas baisser la dette. On peut crier à l’austérité mais il ne s’agit que d’une minuscule économie.
    Quand l’état ne pourra plus payer ses fonctionnaires et ses retraités, quand on devra laisser tomber en loques nos hlm et supprimer toutes les aides parce que la charge de la dette sera devenue insupportable, alors il ne restera aux français qui dépendent de l’état que les yeux pour pleurer.

  2. rblaplume 25/02/2024 / 17h08

    Oui, il est vrai que nous sommes en faillite sauf lorsqu’il s’agit de l’Ukraine ou de  la dotation budgétaire de la présidence de la République, ou  de grands raouts de circonstances  !
    Oui, il est vrai que nous n’avons plus les moyens de nos ambitions en ce qui concerne les services publics en passe de disparaître  sauf lorsqu’il s’agit d’organiser les jeux olympiques !
    Le grand remplacement  du service collectif par des  services privatifs, pour les consommateurs-citoyens dotés de moyens financiers, est en marche. 
    Oui, il est indubitable que nous avons des poches,  de plus en plus étendues, d’extrême pauvreté et de chômage endémique dans ce pays.  Mais le soutien aux grandes entreprises, notamment multinationales, grâce à nos impôts,  est une impérieuse nécessité quoi qu’il nous en coûte !
    L’Union européenne agit avec la même logique implacable. Celle-ci conduit, élections après élections, les électeurs (trices) à favoriser l’extrême droite soit par une  lassitude de promesses non tenues, soit par un sentiment d’impuissance face à l’injonction d’absence d’alternative dite crédible. Que d’illusions perdues ou naïveté de jeunesse !

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