Révolution et sexe !

C’est particulièrement frappant en Iran aujourd’hui.

Précision de l’administrateur. Il concerne le paragraphe voulant laisser croire que Mai 68 a été d’abord une révolution sexuelle, ce qu’elle n’était nullement, mais un ras-le-bol sociétal généralisé… Qui pourrait bien se reproduire à tirer sur la corde comme il est « fait » actuellement. MC


Cela a commencé par un petit bout de tissu, et voilà toute la société iranienne ébranlée. Oui, mais pas n’importe quel bout de tissu. C’est parce qu’elle n’aurait pas positionné correctement son voile que la jeune Mahsa Amini a été arrêtée le 13 septembre dernier, avant de décéder trois jours plus tard, vraisemblablement sous les coups de ses cerbères.

Il n’est pas anodin que l’étudiante ait été appréhendée par la police des mœurs. Car le meilleur moyen de contrôler une population est de museler sa sexualité. Mais à un moment donné, cela finit par exploser, et on comprend que les Iraniennes souhaitent aujourd’hui libérer leur féminité plutôt que d’être reléguées au rang de zombies voilés. Si la répression est sexuelle, la révolte aussi est sexuelle.

Cela peut être rapproché de ce qui s’est passé en Mai 68 en France.

Au départ, les étudiants ne songeaient pas à contester la société de consommation ni à faire l’éloge du maoïsme. Non, au départ, ce qu’ils voulaient, ce n’était pas niquer les flics…, mais niquer tout court. Précisément, une année plus tôt, le 22 mars 1967, les garçons avaient investi les bâtiments réservés aux filles de la cité universitaire de Nanterre, dont l’entrée leur était interdite par le règlement. C’étaient les prémices d’une révolte qui a failli renverser le pouvoir et laissé de profondes traces dans la société. Et beaucoup d’émeutiers avoueront plus tard que les occupations de facs n’étaient que prétextes à parties de jambes en l’air. […]

Mais le sexe n’est pas seulement une affaire d’hormones, il engage aussi toute la société : les bouleversements sociaux passent toujours par une libération des culottes, comme l’avait déjà théorisé dans les années 1930 le médecin, psychiatre et psychanalyste Wilhelm Reich dans son ouvrage culte La Révolution sexuelle. C’est encore plus valable dans le monde musulman. Raison pour laquelle le cul est la préoccupation première des ayatollahs. Nous étions allés en Iran, avec Charb, il y a une dizaine d’années, à une époque ou l’on pouvait encore s’y rendre sans trop risquer d’être emprisonnés pour espionnage.

Nous avions alors rencontré ceux qu’on appelle des « réformateurs », candidats politiques, journalistes ou universitaires, qui dans les limites du raisonnable, pour ne pas être jetés en prison, exprimaient le désir d’amener un zeste de démocratie dans la charia. Ces paisibles quadragénaires ne manquaient pas de courage, mais là où nous avions ressenti le plus de bouillonnement, de pulsion de vie et de rage révolutionnaire en gestation, c’était dans la rue à la sortie des collèges, avec les jeunes des quartiers nord de Téhéran (les plus occidentalisés), qui avaient envie de draguer, de flirter et de s’amuser. Aujourd’hui, ce sont eux qui se font tirer dessus comme des lapins.

Au-delà du voile, l’explosion actuelle est nourrie par un irrépressible désir de liberté sexuelle, au sens large. Or la loi islamique punit sévèrement les relations hors mariage, au minimum par une centaine de coups de fouet. Malgré cette répression, les chefs religieux iraniens lâchent parfois du lest, pour soulager le démon qui sommeille dans les culottes des fidèles. Il y a quatorze siècles, ils avaient déjà mis en place une institution spécifique à l’islam chiite, et encore en vigueur aujourd’hui : le « mariage temporaire », qu’on appelle le sigheh. Si un couple (hétéro, forcément) a envie de batifoler, il peut se rendre chez un mollah ou un notaire. Ce dernier leur signe un certificat de mariage, d’une durée définie au préalable, un jour ou une semaine… ou même une demi-heure, le temps d’aller tirer un coup à l’hôtel sans se faire arrêter par la police des mœurs !

Il y a une autre chose très particulière à l’Iran. L’homosexualité y est punie de mort par pendaison : depuis l’arrivée des ayatollahs, en 1979, plus de 4 000 hommes gays auraient été exécutés. Mais paradoxalement, les opérations de changement de sexe sont autorisées. Il y a une raison historique derrière ça. En 1983, au lendemain de la révolution islamique, un homme, Fereydoon Molkara, a réussi à convaincre l’ayatollah Khomeyni d’émettre une fatwa autorisant les transsexuels à subir une opération pour changer de sexe. Cela lui a permis (à Fereydoon, pas à Khomeyni) de devenir une femme, et la fatwa a été conservée, si bien que les opérations de ce genre sont régulièrement pratiquées dans plusieurs hôpitaux iraniens. Mais évidemment, ce ne sont pas ces hypocrites concessions qui vont atténuer les frustrations du peuple iranien.

Les tensions sociales liées à la sexualité s’expriment aussi dans d’autres pays musulmans. Au Maroc, notamment, où les relations sexuelles hors mariage et l’homosexualité sont également punies. Mais ces lois liberticides sont surtout utilisées pour réprimer les personnalités gênantes. Comme la journaliste Hajar Raissouni, qui, en 2019, a été condamnée à un an de prison pour avortement et relations sexuelles illicites. Soutenue par une mobilisation internationale, elle a finalement été graciée par le roi Mohammed VI. Mais cela a provoqué un effet inverse à celui escompté par le régime, car les Marocaines et les Marocains sont de plus en plus nombreux à militer – notamment à travers le collectif autobaptisé les Hors-la-loi – pour le droit de faire librement l’amour.

[…]


Antonio Fischetti. Charlie hebdo. 04/01/2023. Source (extraits)


Une réflexion sur “Révolution et sexe !

  1. bernarddominik 10/01/2023 / 16h46

    Quand la religion dirige un pays, elle oublie la morale et la justice et ne sert plus qu’à défendre les intérêts financiers des religieux. Ce qui a condamné le shah d’Iran c’est la réforme agraire qui a confisqué les terres des institutions religieuses pour les distribuer aux paysans. Khomeini avait averti le shah sue s’il touchait aux propriétés des institutions musulmanes il serait chassé. La brutalité de la savak et l’absence de démocratie n’ont jamais gêné Khomeini.

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