Mon vieux et moi. – 4

Suite du paragraphe 3. – Lien

À ne dire que l’essentiel, l’homme est moins porté à mentir.

Ce que je connais de Léo, c’est-à-dire très peu, c’est lui qui me l’a appris et personne d’autre. Ce qu’il sait de moi, il a découvert de la même façon. Un jour, j’ai commencé à éplucher son « dossier de comportement »… que j’ai refermé avant d’avoir terminé.

La confiance réside en au mur. Nous vivons pareils à ceux qui cohabitent depuis toujours, la lassitude en moins.

  • La musique est-elle trop forte, Léo ?

Un silence me fournit la réponse. Sa surdité partielle est loin d’être un inconvénient pour moi. Je monte le volume. C’est l’harmonie !

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Dimanche dernier, à l’aube, nous sommes partis, tous les deux. Direction : le marché aux puces. Sitôt arrivé, Léo a repéré une énorme malle bleue.

  • Elle vaut combien, votre mal ?
  • Cher… parce que pleine !
  • Pleine de quoi ?
  • De trésors.

Ça m’a tout de suite séduit, mon ami aussi. Le ventripotent vendeur aux allures de pirate avait le visage et le brûlé par trop de soleil. Ses yeux menaçaient de quitter leur orbite. On aurait cru qu’il voyait du fantastique, alors qu’il n’y avait que Léo et moi.

Capitaine crochet transpirait et sentait l’alcool. Il avait dû dormir une heure au cours de ces deux derniers jours, il tanguait sur la droite. Léo contemplait la malle pendant que j’observais le marin. La suite semble évidente : le vendeur était le pêcheur et moi la prise. Qui pouvais-je ?

  • Livraison comprise ?
  • Marché conclu.

À 17 heures, la malle était devant notre porte, le marin, au loin. J’ai tiré la chose à l’intérieur et l’ai porté jusqu’à la chambre de Léo. Je l’ai déposé sous la fenêtre, là ou les rideaux la caresseraient. Après le souper, comme des survivants échoués sur une île, nous nous sommes rués sur le coffre… il était vide.

Léo s’est mis au lit, la boîte éventrée tout près de lui. De temps en temps, il y jetait un œil, au cas… mais l’instant d’après, il reposait sa tête blanche sur l’oreiller, honteux.

Il toussotait lorsque je me suis endormi, je crois bien qu’il a pleuré un brin. Dès le matin suivant, je l’ai rassuré :

  • T’en fais pas, on va le remplir !

En effet, nous noterions chacun de nos moments précieux – et ils étaient nombreux – sur un bout de papier, et hop dans la malle. Des choses qu’on n’aurait pas su se dire avec les mots parce que trop poignantes, des choses à mourir avec. Et un de ces jours, il serait, « le trésor ».

Dès le lendemain, je me suis mis à marquer un tas de détails que j’aurais laissé filer autrefois. Nous portions désormais, dans la poche de nos chemises, un petit carnet pour y coucher quelques mots en héritage, selon l’inspiration du moment.


Pierre Gagnon


Une réflexion sur “Mon vieux et moi. – 4

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