Pas rassurant tout ça

La sûreté nucléaire jouée à la roulette

Après avoir passé sa campagne électorale à chanter les louanges d’une énergie nucléaire promue au rang de grande cause écolo et à proclamer que les neutrons étaient l’alpha et l’oméga de la crise énergétique et climatique, Emmanuel Macron se retrouve les doigts dans la prise. Même repeinte en vert, l’équation semble insoluble : comment assurer l’approvisionnement énergétique du pays pour les cinq années à venir sans gaz ni pétrole russe, alors que la moitié du parc nucléaire est à l’arrêt pour réparation et que l’autre donne de sérieux signes de faiblesse ?

Ce ne sont pas les 14 nouveaux réacteurs EPR promis par le chef de l’Etat en février qui risquent de changer la donne : ils ne pourront être inaugurés qu’entre 2035 et 2050. Quant au seul EPR français existant – celui de Flamanville -, sa mise en service ne cesse d’être reportée : dix ans de retard déjà, et une facture passée de 3,1 à 19,1 milliards…

Le chef de l’Etat avait arrêté la centrale de Fessenheim en février 2020. Aujourd’hui, pour tenter de sortir du guêpier, il a dû renoncer à en débrancher d’autres. « Aucun réacteur en état de produire ne doit fermer », assure-t-il désormais. Idée rayonnante ! Encore faudrait-il que lesdits réacteurs soient toujours en « état de produire ». Pas de bol : l’actuelle épidémie de corrosion et de mise à l’arrêt des installations qui frappe les réacteurs d’EDF semble partie pour durer des années.

De quoi donner de l’atome à retordre au locataire de l’Elysée…

L’autorité de sûreté nucléaire (ASN) amis en garde à plusieurs reprises le gouvernement et le Parlement : jamais elle ne devrait avoir à choisir entre la sûreté nucléaire et l’approvisionnement du pays en électricité. Aujourd’hui, on y est presque…

Certes, l’ASN se refusera toujours à laisser tourner des réacteurs en état de péril imminent, mais certaines décisions récentes montrent que le gendarme de l’atome doit jongler avec ses propres règles pour éviter de mettre la production en berne. L’Autorité de sûreté a, par exemple, autorisé le redémarrage, en février, du réacteur 1 de la centrale de Dampierre-en-Burly (Loiret), sans même chercher à savoir si sa tuyauterie était concernée ou pas par les problèmes de corrosion fragilisant aujourd’hui le parc nucléaire français. Un constat que l’ASN a confirmé au « Canard ».

De tels points de rouille ont été découverts à Chooz, Penly, Chinon, Civaux et dans d’autres lieux, sur les soudures des canalisations servant – en cas d’urgence – à injecter de l’eau borée pour refroidir les réacteurs (« Le Canard », 22/12/21). Et c’est du sérieux : si ces soudures venaient à se rompre lors d’un incident grave, l’électricien aurait toutes les peines du monde à endiguer l’emballement et la fonte du coeur nucléaire. Riante perspective…

En décembre dernier, l’ASN, prenant l’affaire au sérieux, a demandé à EDF un contrôle général de tous les tuyaux concernés et le remplacement des pièces défectueuses.

Problème : le mal, qui ne concernait au début que les réacteurs les plus puissants, semble toucher en réalité l’ensemble du parc, sans que l’on sache encore très bien si le danger est aussi grave dans toutes les centrales…

Soucieux de ne pas trop handicaper la production de courant durant l’hiver, les gendarmes de l’atome ont évité d’aller fureter partout tout de suite. A Dampierre, l’ASN et EDF n’ont pas profité de la mise hors service du réacteur 1 (quatrième visite décennale de contrôle) pour vérifier l’état des soudures. Conséquence ? Pas de mauvaises surprises à craindre, et un redémarrage assuré de l’engin avant la fin de l’hiver ! L’application stricte du sacro-saint principe de précaution a été reportée à des jours meilleurs…

Soudure sera la chute

Quant aux réparations des premières anomalies détectées à Chooz et à Civaux, nul ne sait quand elles pourront être menées à bien. Près de cinq mois après leur découverte, EDF n’a toujours pas soumis à l’ASN le moindre projet de protocole technique de travaux. Pour tout arranger, la filière nucléaire souffre d’une pénurie de soudeurs spécialisés. A tel point qu’EDF envisage de retarder encore le chantier de l’EPR de Flamanville, pour demander aux équipes présentes sur le site d’aller jouer les dépanneurs dans les autres centrales.

La suite du scénario s’annonce d’autant plus sombre que la défaillance des soudures paraît relever d’un « défaut de conception » de l’ensemble des réacteurs concernés. En clair : un simple changement de bouts de tuyaux ne réglera rien, et les futures réparations devraient avoir très vite besoin d’être elles-mêmes… réparées. Encore une bonne pub pour le rayonnement (nucléaire) de la France…


Dessin de Diégo Aranega — Le Canard Enchainé. 27/04/2022

Hervé Liffran. Le Canard Enchainé. 27/04/2022


3 réflexions sur “Pas rassurant tout ça

  1. bernarddominik 02/05/2022 / 12h14

    Très inquiétant d’autant plus que la filière thorium qui produit moins de déchets et pas de plutonium (donc pas de bombinette) à été ignorée.

  2. marie 02/05/2022 / 15h55

    Bonjour Michel j’aime beaucoup ce dessin l’optimisme est de rigueur! bon après-midi amicalement MTH

  3. jjbadeigtsorangefr 02/05/2022 / 22h49

    L’entretien des centrales coûte cher et dès lors que l’on privatise, il faut choisir entre la sécurité et les actionnaires.
    Quel choix croyez-vous que l’on fit ?

Les commentaires sont fermés.